Présentation (éditeur)
Alger, 1956. Fernand
Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier
indépendantiste, il a choisi un local à l’écart des ateliers pour cet acte
symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est arrêté
avant que l’engin n’explose, n’a tué ni blessé personne, n’est coupable que
d’une intention de sabotage, le voilà pourtant condamné à la peine capitale.
Ce que j’en pense
Si Joseph Andras n’avait pas refusé le Goncourt du Premier
roman, je n’aurais sans doute pas prêté attention à De nos frères blessés. J’ai
d’abord lu ses déclarations, les raisons de son refus, que je respecte infiniment. Et puis j’ai regardé ce qu’était ce premier roman. Le sujet m’a
immédiatement intéressée : quelques clics et hop ! je pouvais en
commencer la lecture. Ce court opus se dévore. Outre qu’il revient sur un
épisode de la guerre d’Algérie que je ne connaissais pas (vous pensez bien que
les livres d’histoire de mon adolescence n’en parlaient pas), il réussit à me parler
de notre époque, ce qui est le propre de la littérature, mais que certains
auteurs échouent totalement à faire.
Fernand Iveton a connu une trajectoire militante nourrie par
les infamies de la France coloniale : son enfance dans un quartier
populaire d’Alger, parmi des populations qui se mélangeaient plutôt
harmonieusement (musulmans, juifs, « européens »). Il constate
quotidiennement l’arrogance des possédants, qui se sont appropriés les
richesses du territoire colonisé, le mépris de l’Etat français qui n’accorde
pas les mêmes droits aux « indigènes » et aux « européens ».
La mort d’Henri, le presque frère, va donner un autre tour à son engagement
auprès de ceux qui veulent l’indépendance de l’Algérie : il va passer à la
lutte armée. Si le récit de Joseph Andras regarde en face la bassesse de la France
et d’une partie de sa population colonialiste, ce qui n’est pas le moindre de
ses mérites, il tape aussi juste en ces temps d’état d’urgence, d’abandon des
migrants, de violence étatique et policière. L’Etat et la justice militaire ne
peuvent pas libérer Fernand Iveton tandis que les bombes sautent dans Alger :
tant pis si sa bombe était placée dans un local désaffecté, pour sauter à une
heure où l’usine est vide ; tant pis si sa bombe n’a pas sauté. Il doit
mourir parce que les politiques veulent un exemple, François Mitterrand en tête,
parce que la population doit être rassurée sur la capacité de l’Etat à s’occuper
des « terroristes », des « communistes ». Fernand Iveton
croit pourtant en la justice de son pays, et comme il a tort… La justice n’est
rien quand l’Etat veut donner l’impression qu’il contrôle la situation, elle
écrase ceux qui osent remettre l’ordre en question, et est prête pour cela à
bafouer le droit de ses citoyens.
Pour rendre hommage à Fernand Iveton, Joseph Andras fait le
choix d’une construction classique mais efficace, qui alterne entre le récit de
l’attentat manqué puis de la marche vers la guillotine et celui de la rencontre
entre Fernand et Hélène, la lumineuse Hélène, soutien indéfectible, force digne
face aux chiens de l’opinion publique. Son écriture réussit à allier sobriété
et puissance émotionnelle, à rendre compte de l’infâme et de la beauté tout à
la fois.
Fernand Iveton meurt alors qu’il lit Les Misérables de Victor Hugo : pour lui nulle rédemption,
mais un hommage, une réparation littéraire, quelques décennies plus tard,
tandis que l’Etat français nous ménage d’autres Fernand, à coups d’état d’urgence
et de violences policières.
Joseph Andras, De nos
frères blessés, Actes Sud, 2016. Disponible en ebook.
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