Comme il n’est jamais trop tard pour voir de bons films, j’ai
vu pour la première fois de ma vie Blood Simple de Joel et Ethan Coen. C’est
donc la version director’s cut que j’ai regardée, au cas où vous vous
demanderiez, je ne connais donc que celle-ci : pas de comparaison
possible.
J’ai adoré me faire promener par les frères Coen, dans ce
film noir très codé et qui fait en même temps un usage ludique des codes, sans
la mise à distance amusée d’un Tarantino.
La trame est on ne peut plus classique : une femme
quitte son mari pour l’un de ses employés ; le mari engage un privé, d’abord
pour avoir les preuves du forfait, ensuite pour liquider les amants adultères.
A partir de cet argument narratif, les frères Coen jouent avec les images, semant
pour les spectateurs des indices, attirent l’œil sur des détails qui se
révèleront cruciaux, mais déjouent toujours nos attentes. Ainsi, le briquet
oublié sous le poisson (ceux qui ont vu me comprennent) pourrait être l’élément
incriminant, au lieu de quoi il jouera un autre rôle dans la mécanique du récit ;
le spectateur est invité à constater que le pistolet de l’épouse ne contient
que trois balles, puis à remarquer où le glisse l’amant. Hypothèses, toutes déjouées
ensuite, pour notre plus grand plaisir.
Chacun des personnages est une sorte d’archétype du noir,
mais aucun ne permet l’identification. Tous se méprennent, sur la situation,
sur les autres, tous sont, au fond, complètement crétins. Le mari demande une
enquête au privé, car il est persuadé que sa femme le trompe avec un homme
noir (ce qui pour lui est l'insulte suprême). L’épouse et l’amant sont persuadés que l’autre a commis le pire et
finissent par être terrifiés l’un par l’autre. Le privé commet une erreur
consternante qui va avoir des conséquences en chaîne, parce qu’il s’est cru
plus malin. Le carnage advient par la bêtise des uns et des autres, par leur
inaptitude à juger d’une situation, par le fait qu’ils sont pétris de
clichés sur ce que fait une femme adultère, sur ce que fait un amant, etc.
En termes de mise en scène et de montage, le film est assez
sidérant. Rappelons qu’il est sorti en 1985, et hormis quelques détails
vestimentaires très eighties, rien dans l’image, la photographie ne le signale.
Or, combien de films de l’époque ont aussi bien vieilli ? Dans cette
version director’s cut, il y a un mélange de lenteur et de rapidité assez
unique. La bande-son contribue largement à créer une atmosphère mi-réaliste
mi-onirique, par l’utilisation des silences, des bruits (de porte notamment),
par la musique aussi, impeccable. On est déjà dans cette Amérique qui fascine
les frères Coen, une Amérique de rednecks, et les trognes sont assez
incroyables.
Une dernière chose m’a frappée. Je ne suis pas spécialiste
en la matière, loin s’en faut, mais deux scènes m’ont semblé dignes des films d’horreur :
la scène nocturne où Ray emmène le corps de Marty pour l’enterrer et la scène
finale où le privé traque sa victime : la main plantée sur la fenêtre, les
coups de feu puis les coups contre la cloison, avec le risque de voir surgir le
bourreau à tout moment… Tout cela m’a évoqué, dans la manière de filmer, des
scènes topiques des films d’horreur.
Bref, Blood Simple avance simplement, sans rodomontade, et
pourtant, c’est un film d’une ambition folle, et une réussite totale à mes
yeux. Merci Elodie, qui m’a donné envie de le voir !
Joel et Ethan Coen, Blood
Simple, River Road Productions/ Foxton Entertainment, USA, 1985, 99
minutes.
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