S01E04: A l"ombre des lectrices en fleur (oui oh hein, ça va, je sais, elle est facile!)
Martha Holmes, A young woman reading poetry in her room, La Quinta, California, USA, December 1945. |
L’adolescence est un moment périlleux dans l’itinéraire des jeunes lecteurs. Presque tous les petits aiment lire ou qu’on leur fasse la lecture, mais à l’adolescence, beaucoup se détournent des livres, pour des tas de raisons : travail scolaire plus important, sociabilités adolescentes, modes de lecture scolaire qui les écartent du plaisir de lire, nombreuses sollicitations dans des pratiques partagées qui comptent dans les relations sociales, etc.
Il est certain que quand j’étais adolescente, les tentations étaient moindres. Pas de téléphone portable (et le téléphone était aussi un outil de travail pour mes parents, donc je l’utilisais peu), pas d’internet, même pas d’ordinateur (je suis TRES vieille et j'ai eu mon premier ordinateur quand j'étais étudiante), balbutiements des consoles de jeu vidéo grand public, 3 chaînes de télévision puis 6 (dans ma cambrousse, 3 même quand il y en eut 6), peu de programmes dédiés aux enfants et aux jeunes. Et j’habitais à la campagne, loin des transports en commun. A l’époque, faire faire à ses enfants de nombreuses activités extra-scolaires était moins courant qu’aujourd’hui. Après le collège, pas question de traîner: le car de ramassage scolaire partait aussitôt, me ramenant, comme mes petits camarades, au domicile familial. Mon appétit de lecture ne faiblissait pas et il rencontrait un contexte favorable.
Le moment le plus délicat a été la classe de troisième, non parce que je n’avais plus le goût de lire, mais parce que, en pleine crise d’adolescence, je cultivais mon goût de lire à l’excès et que cela aurait pu m’écarter de mes petits camarades. Par pur hasard, je me suis retrouvée cette année-là dans une classe où je ne connaissais personne et je l’ai mal pris. Mes camarades étaient pour la majorité des élèves peu enclins à l’effort scolaire, et même si nous nous sommes rapidement bien entendus, nous n’avions pas du tout les mêmes centres d’intérêt: pour eux, cigarettes, mobylettes et flirts, pour moi discussions avec les amis et lecture. Comme souvent dans ce cas-là, et sans doute parce que j’étais en pleine crise d’adolescence, je me suis crispée sur ce qui constituait à mes yeux mon trait de caractère majeur: un goût romantique pour la solitude (l’ado incomprise, façon tableau de Friedrich!) et l’amour fervent de la littérature, les deux étant liés. J’emportais mes livres partout, et j’avais toujours dans la poche de mon grand manteau un livre de poche et sur la figure un air dramatique. Je lisais parfois à la bougie, notamment les auteurs que j’abordais avec un sentiment de toucher au sacré: je me suis ainsi abimé les yeux à lire à la bougie Proust, du moins au début (j’ai commencé en 3ème mais la Recherche m’a accompagnée jusqu’à la fin du lycée).
Une vraie tête à claques.
Image trouvée ici |
En seconde j’ai fait mon entrée dans un lycée de centre-ville où je ne connaissais personne, désireuse de tourner la page du collège, de me faire d’autres copains. J’ai quitté mes oripeaux romantiques et je suis devenue « normale ». Je me suis fait de nouveaux amis, j’ai hanté le bar à côté du lycée avec eux, j’ai découvert le cinéma (il y en avait 4 tout près de mon lycée!), j’ai pris mes habitudes à la bibliothèque municipale pour emprunter et pour travailler, j’ai commencé à fréquenter les librairies. J’ai eu à partir de la seconde un peu d’argent de poche et je séchais le déjeuner pour avoir plus de sous pour le cinéma, les disques et les livres. Aimer lire n’était plus une tare au lycée, surtout pas dans cet établissement de centre-ville un peu sélect. J’avais pour la première fois des amis qui partageaient mon goût de la lecture. Les années-lycée sont mes années d’adolescence préférées, je n’en ai que de bons souvenirs. Je commençais à savoir ce que je voulais faire et la lecture faisait partie du projet. Mes parents m’appuyaient, j’avais des amis qui avaient des projets analogues ou proches, ma marche vers l’âge adulte ne s’annonçait pas si mal. Dire que tout a été simple ensuite serait très exagéré, mais la lecture n’est pour rien dans ces difficultés. Au contraire, elle m’a aidée.
Mais puisque l’on dit que l’adolescence est l’époque des premières fois, voyons ce qu’il en a été de mes premières fois en matière de lecture…
La première fois où j’ai lu du polar pour adultes.
En 6ème, je me promenais encore avec mes Bibliothèque verte, les Alice. Ma prof de français m’a conseillé de lire Agatha Christie, puisque j’aimais lire du roman policier. Moi, toujours aussi docile, j’ai obtempéré. J’ai lu tout ce que publiait alors Le Masque (tout Agatha Christie, veux-je dire). Ces livres-là aussi, je me demande ce qu’ils sont devenus. J’aimais tellement ça que je me suis mis en tête d’écrire un roman policier. Très sérieuse, j’ai écrit au Masque, leur demandant ce que je devrais faire une fois mon manuscrit achevé. Ils m’ont répondu, je me revois recevant la lettre comme le saint Graal; on m’y expliquait très gentiment la marche à suivre et on me félicitait d’avoir un si joli projet. De fait, je voulais être écrivain. Et mes parents, quoique dubitatifs, ne se sont pas moqués de moi quand j’ai écrit à la maison d’édition, pas plus qu’ils ne protestaient quand je disais que je voulais faire de l’écriture mon métier: ils me faisaient simplement remarquer qu’en vivre était très difficile.
Mon premier Agatha Christie, avant de passer au Masque |
La première fois où j’ai acheté un livre en librairie, SEULE.
Quand j’étais en 5ème ou en 4ème, je ne sais plus très bien, j’ai fait pour la première fois une sortie en ville avec les copines, sans ma mère. J’en ai profité pour passer dans l’une des plus grandes librairies de la ville, aujourd’hui disparue, et j’ai demandé un livre, premier achat de grande. La raison de mon choix est sans doute à chercher dans la découverte d’un poème dans mon manuel scolaire (car je lisais mon manuel de français un peu comme on lit un livre), mais à vrai dire, je ne m’en souviens pas. J’ai ainsi acheté Les contemplations de Victor Hugo. J’ai toujours le recueil, en Poésie Gallimard.
La première fois où je suis allée à la bibliothèque
Toujours en troisième, je suis allée à la bibliothèque municipale pour la première fois de ma vie; ma mère m’attendait dans la voiture. Mais j’avais moins de 15 ans, peut-être moins de 14 même, et l’on m’a gentiment envoyée vers le rayon jeunesse, le seul auquel je pouvais avoir accès. A l’époque, la littérature pour ado était très pauvre, j’avais des lectures de grande, et je me souviens de ma perplexité dans cette petite salle manifestement dédiée aux tout jeunes lecteurs. Je suis ressortie, dépitée qu’on m’ait renvoyée à des lectures enfantines (« mais euh… je lis Balzac et Sade, moi… »). Ma mère est alors sortie de la voiture et est allée s’inscrire sans hésiter: en attendant que j’aie l’âge, je pourrais accéder, via sa carte, à la section adulte. Mon premier emprunt a été Lolita de Nabokov, que j’ai détesté et que je déteste encore, comme tout ce que j’ai lu de Nabokov. Notez bien qu’à cette époque, les cartes d’emprunteurs étaient des cartes en carton, où l’identité de l’emprunteur était inscrite manuellement, avec sa date de naissance. J’ai donc présenté pendant des mois et des mois une carte où il était inscrit que j’étais née en 1951, sans me démonter quand le ou la bibliothécaire me demandait si la carte était bien à moi. Leur regard soupçonneux n’a pas suffi à me convaincre que je n’étais pas dans mon bon droit, et il faut reconnaitre qu’ils n’ont jamais refusé les emprunts…
Ma première bibliothèque (le meuble!)
Un autre moment mémorable de mon adolescence de lectrice est le moment où mon père m’a donné une de ses étagères pour que j’en fasse ma première bibliothèque. Il l’avait fabriquée lui-même (et ce n’est rien de dire que mon père n’était pas ébéniste) en aggloméré brut. Avec ma mère, nous l’avons peinte en blanc et fièrement, j’y ai rangé les livres que j’avais commencé à accumuler. Elle n’a pas tardé à ployer sous le poids, mais qu’importe, c’était ma première bibliothèque, prête pour la grande accélération du lycée…
La première fois où je suis tombée amoureuse d’un personnage.
A la fin de mon année de seconde, je me suis prise de passion pour Jack London, je lisais ce que je trouvais dans la collection 10-18. J’ai ainsi lu et adoré L’aventureuse. Il s’agissait d’un roman d’aventures, avec deux personnages que tout oppose ou presque, David Sheldon et Joan Lackland. C’était romanesque, enlevé, j’ai le souvenir d’un héros bougon et séduisant sous ses allures d’ours, d’une héroïne au caractère bien trempé, d’une histoire d’amour. Je n’ai jamais osé relire ce roman, j’ai très peur d’être déçue, car je me souviens avoir vibré et être tombée amoureuse de ce planteur anglais taciturne et un brin dur à cuire… Faut-il voir dans ce roman l’origine de mon goût, aujourd’hui, pour les romances un brin piquantes et pas dénuées d’humour?
Voilà, c’était le dernier épisode. Vous voyez, tout est bien qui finit bien. Somme toute, j’ai toujours été une lectrice heureuse.
Je vous épargne l’entrée dans l’âge adulte, qui n’a vraiment rien d’intéressant ou de touchant. Ma personnalité de lectrice n’a cessé d’évoluer, en dépit de quelques repères stables dans le temps. Et c’est bien, car le meilleur est toujours à venir, en matière de lecture!
1 commentaire:
Vraiment une jolie série, qui résonne en soi, même si mes aventures n'ont pas été les mêmes...(je précise que ma période Agatha est venue après, et pour l'instant j'ai encore tous les Masque Agatha christie)
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