Nous sommes en 2022, à la veille de l'élection présidentielle.
Dans un pays à la classe politique discréditée, le Front National et les
mouvances identitaires progressent inexorablement, mais un candidat va pourtant
l'emporter, porté par les partis classiques désorientés par le FN: le Parti
Musulman. La France bascule... François, quadragénaire et universitaire,
observe tout cela…
Ce que j'en pense
Deux précisions s'imposent d'abord :
- de Houellebecq je n'ai lu jusqu'ici que Extension du domaine de la lutte,
il y a fort longtemps, et je me souviens être sortie de cette lecture
convaincue par la qualité de l'oeuvre mais éprouvée par une vision
anti-humaniste à la limite du soutenable pour moi.
- avant la date du 7 janvier, j'avais décidé de lire Soumission, agacée par certains
jugements à l'emporte-pièce sur le roman, notamment de la part de gens qui
n'avaient aucune intention de le lire. Je voulais en parler en
connaissance de cause.
Bien entendu, les récents évènements déplacent un peu le regard,
et le livre n'est pas de ceux qu'on peut juger à la seule aune de leurs
qualités littéraires, à supposer d'ailleurs que cela puisse être séparé de
toute réflexion sur le fond. Fond, forme, bla bla bla... Néanmoins, je me
refuse à occulter cette dimension et à prendre le roman pour autre chose que ce
qu'il est, c'est-à-dire une fiction littéraire qui jette un regard sur le monde
et sur l'homme.
Je n'ai ni aimé ni détesté le livre. J'en suis ressortie... en étant
heureuse d'en être ressortie!
Pourquoi? Mon
impression n'est pas différente de celle que j'avais eue au sortir d'Extension du domaine de la lutte. Ce
n'est pas un scoop, Houellebecq propose une vision anti-humaniste. Le plus
dérangeant - et ce n'est pas dénué d'intérêt - dans Soumission est contenu dans le titre: l'homme n'est pas capable de
gérer sa liberté, d'être responsable, il a besoin de cadres, d'un ordre
"supérieur" pour organiser sa vie, donner un sens, une direction à
son existence qui en elle-même, n'a pas de signification. Il est plus simple de
se laisser porter, guider, que de réfléchir et d'en appeler au libre-arbitre.
Il y a une scène édifiante dans le roman : un homme, musulman, semble éprouvé
par ses responsabilités (le narrateur l'observe dans un train), accablé
même ; en face de lui, ses deux très jeunes épouses, qui gloussent et se
gavent de presse futile, délestées qu’elles sont de toute responsabilité dans
leur soumission à l’époux. Qui est le plus heureux ?... (selon Houellebecq ou tout au moins son personnage)
A partir de là,
Houellebecq ne peut que développer une vision propre à choquer le plus grand
nombre, notamment dans les sphères intellectuelles qui les premières lisent son
roman (critiques et autres). Suis-je moi-même choquée ? Non, en tout cas pas au
point de vouer Houellebecq aux gémonies. Mais je ne peux partager une telle
vision. C’est peut-être parce que j’appartiens à cette catégorie de l’humanité
qui dans Soumission est plus qu’une autre désireuse de soumission, incapable de
libre-arbitre: les femmes. Le roman est ouvertement misogyne, mais il est au
point que c’en est pathétique. Bizarrement, cela m’atteint moins que dans des
romans qui prétendent ne pas l’être et qui véhiculent en toute innocence des
clichés sexistes.
C’est sur le même
mode que le roman peut être lu comme islamophobe. Mais qu’on ne s’y trompe pas: de même que
les femmes sont des représentantes puissance mille de cette humanité stupide et
incapable de se vouloir libre, les musulmans profitent avant tout de l’incurie
des classes politiques françaises et imposent leur vision politique à ceux qui
n’en ont plus/pas. Pour le reste, je soupçonne que Houellebecq ne sait pas bien
de quoi il parle, mais je ne suis moi-même pas très éclairée par le sujet: je
constate tout au plus que si les musulmans qui prennent le pouvoir dans son
roman ne sont pas des fanatiques tueurs, ils ne sont pas non plus les tenants
d’un islamisme modéré, comme Houellebecq l’écrit pourtant.
Sur le plan
littéraire, je suis très partagée. Houellebecq écrit bien, c’est entendu, et
jamais le roman ne m’est tombé des mains, il est assez enlevé et pas ennuyeux.
Toutefois, je ne lui ai pas trouvé de grandes qualités littéraires, et deux
choses m’ont gênée: d’abord, l’ensemble est très linéaire, sans surprise (il
faut dire que tout le monde y va de son spoiler!), ensuite face à un narrateur
passif et en retrait, à l’image de ces pauvres humains qui s’en remettent à un ordre
supérieur pour organiser leur vie, il y a de nombreux bavards, qui exposent en
long, en large et en travers leurs analyses de l’évolution des choses. Vers le
milieu du roman, j’ai trouvé que cela devenait pesant, comme s’il y avait dans Soumission une tentation de l’essai, et
cela m’a dérangée. La scène du train que j’évoquais plus haut est bien plus
saisissante que ces discours.
Au final, je pense
que Houellebecq n’est pas Zemmour, mais que son roman fait écho à des peurs
nauséabondes (et que ce soit son intention ou non n’est pas le problème). Pour
le reste, ce n’est pas un grand roman, et qui n’a pas envie de le lire n’a qu’à
pas le lire (liberté d’expression, please). Comme je ne crois pas un instant
qu’un roman puisse changer les opinions des individus en profondeur, je ne vois
pas l’intérêt de s’exciter outre mesure contre ce livre. Il n’y a rien de
condamnable dans Soumission, me
semble-t-il (je parle d’infraction à la loi), juste une vision outrée,
provocante. Mais en lisant çà et là des critiques, je le croyais plus violent,
virulent. Je ne regrette pas de l’avoir lu, j’ai pu me faire ma propre opinion:
il est subversif philosophiquement et peu intéressant littérairement. Je
l’oublierai assez vite, je crois.
Michel Houellebecq, Soumission, Grasset, 2015.
5 commentaires:
Eh bien voilà, ça, c’est dit ;) !
Ma sœur (bibliothécaire) me parlait justement de ce roman hier au téléphone. Houellebecq est un auteur qu’elle suit et elle voulait se faire sa propre opinion sur ce roman au sujet duquel on glose tant et plus. Son impression rejoint la tienne (je vais lui envoyer le lien vers ton billet).
De l’auteur, je n’avais lu que « La carte et la territoire », un peu atypique dans son œuvre, je crois, et qui ne m’avait pas déplu. Je serais curieuse de lire celui-ci, au moins en diagonale, mais comme je n’ai pas envie de l’acheter, ce n’est pas demain la veille que j’y aurai accès.
J'aime bien tes libellés...
Deuxième billet que je lis sur les blogs, et comme il s'agit là aussi de l'avis de quelqu'un qui a lu le livre (pas comme à la télé où on s'écharpait presque, en disant que de toute façon on ne le lirait pas), j'ai lu ton billet avec intérêt. Merci à toi;
@Keisha : Merci à toi! Oui c'est insensé de se crêper le chignon sans l'avoir lu, c'est totalement vain...
@Brize: J'ai hésité avant de faire le billet, en fait... Je me demandais si ça valait la peine. On m'a dit grand bien de La carte et le territoire, peut-être que je le lirai, un jour. Là j'ai besoin de passer à autre chose!
A la lecture de ton billet, je sais déjà que je vais passer mon tour- L'auteur ne m'attire pas et je n'aime pas vraiment ces romans où l'on parle beaucoup politique.
Je comprends, Eléa! Et il y a tant à lire, par ailleurs... ;-)
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