Présentation (éditeur)
Une usine qui ferme dans les Vosges, tout le monde s'en fout. Une centaine de types qui se retrouvent sur le carreau, chômage, RSA, le petit dernier qui n'ira pas en colo cet été, un ou deux reportages au 19/20 régional et puis basta. Sauf que les usines sont pleines de types dangereux qui n'ont plus rien à perdre. Comme Martel, le syndicaliste qui planque ses tatouages, ou Bruce, le bodybuilder sous stéroïdes. Des types qui ont du temps et la mauvaise idée de kidnapper une fille sur les trottoirs de Strasbourg pour la revendre à deux caïds qui font la pluie et le beau temps entre Epinal et Nancy. Une fille, un Colt 45, la neige, à partir de là, tout s'enchaîne.
Ce que j'en pense
Si vous cherchez un roman facile d’accès et immédiatement aimable, passez votre chemin. Aux animaux la guerre est un roman complexe, aux paysages arides, aux personnages bruts de décoffrage. Une fois le livre refermé, je me suis sentie admirative de la maîtrise de ce romancier, dont c’est le premier opus. Si je devais émettre une réserve, ce serait la suivante: le roman est si déconcertant dans sa construction que j’ai eu un peu de mal, pendant la première moitié, à me passionner pour l’histoire. Ne vous y trompez pas, il ne m’est jamais venu l’envie, ne serait-ce qu’une seconde, de laisser le livre de côté. Et heureusement, car j’ai la conviction qu’un auteur est né.
Par quoi commencer pour vous convaincre de le lire?
L’un des grands talents de Nicolas Mathieu est de faire exister, très rapidement, ses personnages, et pourtant, il nous en dit peu. Il peint cette humanité ordinaire d’une région française, les Vosges, mélange d’ouvriers dont l’usine est sur le point de fermer, salariés, petites frappes, prostituées, jeunes filles délurées. N’allez pas penser pour autant qu’il y a dans Aux animaux la guerre une vision glauque de ces gens, bien au contraire, l’auteur souligne, mine de rien, sans appuyer le trait, leur humanité. Juste pour le plaisir, j’évoquerai cette scène nocturne dans un bistro qui n’a l’air de rien, dans laquelle échouent trois ados, avec cette patronne et ce chauffeur de taxi, ce lien entre eux, et leur tendresse pour ces trois gosses qu’ils ne connaissent pas. Du plus mineur au plus important, chaque personnage est évoqué dans son humanité ou sa complexité, à part Bruce, sans doute, dont on connaît mal la jeunesse, et qui est trop stupide et cinglé pour émouvoir le lecteur. Il y a Martel, personnage peu aimable mais plus complexe qu’il n’en a l’air. Personnellement, j’ai tout de suite aimé Rita, directe, troublée, coriace: une autre scène qui la définit mieux qu’une longue et maladroite analyse psychologique est celle où elle court, au petit matin.
Autre point fort du roman: sa construction, extraordinaire. Au début je me suis demandé où Nicolas Mathieu m’emmenait, avec son prologue algérien et la multiplicité des personnages, des regards, des intrigues, et surtout, l’enchevêtrement des niveaux temporels, qui ne s’encombre pas de précisions chronologiques: c’est au lecteur de démêler l’écheveau. L’intrigue se construit savamment, mais ce n’est jamais artificiel, les pièces du puzzle se mettent en place. Une seule certitude depuis le début : tout ça ne finira pas bien. Le final est aussi maîtrisé que le reste, et j’ai aimé cette fin sombre qui ne clôt pas tout, ou plutôt qui se refuse à conclure.
Aux animaux la guerre est superbement écrit, et à la virtuosité de la construction fait écho une écriture sans effets, efficace, qui évoque avec une force inouïe la rudesse des Vosges. Le froid, la neige sont des éléments importants du roman, qui stoppent les plus déterminés, servent de linceul aux plus fragiles.
Enfin, c’est un roman noir qui brosse le portrait de la province ouvrière, moribonde, perdue et condamnée à des expédients pas toujours reluisants. Ce n’est pas si fréquent dans le roman noir français, et d’autant plus remarquable. J’ai pensé à certains romans de Jean-Paul Demure. Pourtant Aux animaux la guerre est très différent.
Voilà un premier roman très réussi, un auteur très prometteur, dans une collection - Actes Noirs - qui décidément n’en finit pas de me surprendre.
Ah et puis quand même, ce titre : superbe!
Nicolas Mathieu, Aux animaux la guerre, Actes Sud, Actes Noirs, 2014. Disponible en ebook.
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