True Detective est la série qui a fait parler d’elle ces dernières
semaines et je ne vais pas disserter sans fin sur le buzz généré, ni sur les
analyses qui fleurissent. Je l’ai abordée comme j’aborde un roman noir, mais à
la télé, pas comme un phénomène médiatique. Et vous voulez que je vous
dise ? Il est rare de voir, sur petit écran, du noir aussi serré, sans
concession majeure à ce qui fait le sel du genre : sa noirceur absolue. Un
petit miracle télévisuel, en somme.
Huit épisodes d’une heure et pas une minute de trop, une construction
admirable, une mise en scène et une photographie éblouissantes, enfin des acteurs,
du premier jusqu’au dernier, impeccables.
Côté scénario, pas de surprise pour les lecteurs de roman noir ou les spectateurs de films noirs. Je veux
dire par là que l’habitué des codes du genre ne sera pas décontenancé, il n’y a
que ceux qui ne connaissent du polar que des productions beaucoup plus grand
public (je dis cela sans mépris aucun pour les grosses machines à polar du
petit écran, je les aime aussi) pour s’extasier devant l’originalité de
l’histoire et de son traitement. On retrouve dans True Detective nombre de codes et de figures du
noir : le duo de flics mal assortis, la hiérarchie mi-aveugle
mi-corrompue, un tissu social dégradé dans une Louisiane dévastée par les
ouragans. Je m’étonne de voir nombre d’internautes s’extasier ou s’agacer
devant le côté « philosophe » de Rust, les plus enthousiastes
s’émerveillant de ce discours sur le monde et l’homme comme ils vont, tandis
que les détracteurs pestent contre le coté verbeux que cela donne à quelques
passages. Rust est l’un de ces enquêteurs (privé ou flic, on s’en moque) pour
qui chaque enquête vaut pour confirmation de la noirceur du monde, de la
corruption des hommes, de l’hubris de cette « viande sensible » que
nous sommes, des animaux devenus trop conscients d’eux-mêmes et persuaidés
d’être quelqu’un, alors que somme toute, poussière nous étions, poussière nous
redeviendrons. Ce côté philosophe n’est pas si rare dans le noir… Simplement,
parce que nous sommes à l’écran, il faut donner à entendre ce que le roman
mettrait dans la tête du héros ou du narrateur ; donc Rust parle, à son
équipier, le plus souvent abasourdi par tant de cynisme et de pessimisme. Les
deux équipiers sont d’ailleurs dans la lignée des héros hardboiled, faillibles,
faibles, touchants, repoussants, tout cela à la fois ou tour à tour. Je les ai
adorés, l’un comme l’autre. Ils sont portés par deux superbes comédiens. Je
sais que tout le monde loue Matthew McConaughey, et il est vrai que son
interprétation est somptueuse, mais je trouve que ce n’est pas rendre justice à
Woody Harrelson : si Rust, joué par McConaughey, est un peu monolithique (en témoigne la voix un brin monocorde du comédien dans le genre caverneux, enfin, je trouve, à la longue),
Marty me semble plus complexe à jouer, plus mouvant, et Harrelson parvient à le
rendre tour à tour haïssable et… tout simplement humain, donc faillible et
touchant.
Quand j’ai entendu l’argument développé dans le premier épisode,
j’étais méfiante, les histoires de meurtres rituels sont vus et revus dans ce
que je déteste le plus – les thrillers à couverture en relief un peu brillante ,
vous savez – et ce n’est pas ma tasse de thé. Mais à partir de cela, True
Detective construit un scénario purement noir, enraciné dans une Louisiane pétrie de croyances.
Bref, rien de neuf pour le lecteur de roman noir, mais c’est du très
grand noir, l’égal d’un roman de Lehane (au meilleur de sa forme), voire d’un
Ellroy, ou un mélange des deux. Marty pourrait aller chez Lehane, mais Rust, nan... direct chez Ellroy. Ou chez Jack O'Connell. C'est peu dire que je fais là un compliment. C’est rare à la télévision et donc remarquable.
J’en redemande.
En revanche, en termes d’écriture télévisuelle, c’est sans doute
atypique. Contrairement aux séries policières à succès, pas de clôture par
épisodes, mais une construction complexe, qui entremêle six épisodes durant les
niveaux temporels, étirant l’histoire sur plus de dix ans, sans que l’on se
perde jamais. Et une logique narrative continue, un cycle plutôt qu’une série
d’histoires, certains parlent d’ailleurs d’un long métrage en huit heures.
Il y a aussi la grande exigence de la mise en scène : tout le
monde parle du plan-séquence de l’épisode 4, à juste titre, ceci dit l’ensemble
de la série se distingue par sa qualité visuelle et sa mise en scène maîtrisée et efficace.
Mais si la série, dont on annonce déjà une saison 2, doit se distinguer
des autres, c’est sans aucun doute par son approche de la sérialité : pour
une fois, elle ne sera pas fondée sur le retour des personnages, si j’en crois
ce que je lis, et cela est perturbant (je finis toujours par m’attacher aux
héros, même les plus barzingues et les plus sombres) autant qu’excitant.
Comment faire une saison 2 après celle-ci ? Et avec qui, nom d’une
pipe ?
Bref, je ne saurais trop vous conseiller de regarder True Detective, si
vous aimez le roman noir et les films noirs, cette série est pour vous !
Et je vous envie d’avoir encore à la découvrir…
True Detective (saison 1), créée par Nic Pizzolatto, produite
par Anonymous Content, Parliment of Owls, Passenger, Neon Black, diffusée
pa HBO (USA, 2014). Huit épisodes de 60 minutes réalisés
par Cary Fukunaga. Diffusée en France sur OCS City. Disponible en DVD en juin
2014.
3 commentaires:
Je n'en avais pas entendu parler... j'ai bien fait de passer par ici car je pense que ça devrait me plaire. Beaucoup!
J'espère que tu aimeras!
J'ai adoré. J'ai trouvé les premiers épisodes assez durs avec le spectateur, pas forcément parce qu'ils montrent visuellement des choses horribles mais plutôt parce que l'atmosphère est tellement oppressante (ce qui signifie bien écrite) que parfois j'avais vraiment besoin de respirer. Mais c'est tellement bon, tellement beau, tellement intelligent, et comme vous le dîtes dans votre analyse des personnages, tellement humain (et tellement bien joué) qu'on reste. Quand les aller- retours avec le passé cessent et qu'on entre dans la dernière ligne droite, c'est carrément passionnant.
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