samedi 18 mai 2013

Ma part d'ombre de James Ellroy



Présentation
Le 22 juin 1958, Geneva Hilliker, alias Jean Ellroy, est assassinée, laissant un orphelin de 10 ans et beaucoup de questions. Ma part d’ombre fait le récit d’une double enquête (celle de l’époque, celle de l’auteur adulte et d’un policier de la brigade criminelle de Los Angeles), mais aussi d’une trajectoire de perdition dans une Amérique violente.

Mon avis
Je connais peu l’œuvre d’Ellroy, même si j’ai lu plusieurs fois Le Dahlia noir, que je trouve superbe. C’est un peu par hasard que j’ai acheté Ma part d’ombre il y a quelques mois. Dès les premières pages, ce récit m’a happée pour ne plus me lâcher, j’interrompais ma lecture à regrets, impatiente d’y retourner, et ne cessant guère d’y penser entre deux moments de lecture.
On connaît l’histoire tragique de ce romancier et surtout de sa mère, assassinée en 1958. Ma part d’ombre est à la fois un hommage rendu à cette femme et le récit d’une lente chute suivie d’une progressive rédemption, d’une réconciliation de James Ellroy avec sa mère, avec lui-même. Le récit est structuré en diverses parties : dans la première, il évoque le meurtre et l’enquête qui l’a suivi, à la troisième personne, avec une distance saisissante. Les faits, les hypothèses, les impasses de l’enquête : voilà tout. Puis une longue partie à la première personne évoque la plongée en enfer de l’auteur, de son enfance à l’âge adulte. James Ellroy est hanté par sa mère, par Elizabeth Short (le Dahlia noir), il se construit en tant qu’adulte sur des visions de cauchemar, sur des fantasmes de violence et de mort, dans la haine – ambiguë – de sa mère. Il se construit, ou plutôt il se détruit avec méthode. De cette trajectoire terrible naît un écrivain. Puis on passe à une époque bien ultérieure et au policier, Stoner, avec lequel James Ellroy va reprendre l’enquête, qui n’aboutira pas non plus mais qui éclairera quelque peu la vie de sa mère, qui lui permettra surtout d’affronter ses fantômes, de réécrire sa propre histoire familiale.
Le récit est d’une puissance folle. Jamais un brin de pathos : Ellroy a une écriture clinique, distanciée, presque comportementaliste par moments. Il parle de lui – que ce soit à la première personne ou à la troisième personne – sans complaisance, avec lucidité, sans se faire de cadeau. On sait que le personnage joue publiquement de ses zones d’ombre, il passe volontiers pour un excité facho : à lire La part d’ombre, on voit bien comment il en arrive à cette posture. La force de son écriture fait que, sans qu’il y ait la moindre volonté de jouer la carte du sentiment, on est bouleversé par Geneva Hilliker, alias Jean Ellroy. De la pochtronne en quête d’aventures d’un soir du début, on passe peu à peu à une femme secrète et désireuse d’échapper à quelque chose ou à quelqu’un, et elle apparaît au fil du récit dans toute sa beauté, dans toute sa complexité.
Mais au-delà, ce qui m’a immédiatement saisie, c’est le propos très fort, qui s’affirme dès les premières pages, sur une société américaine bouffie de violence, en particulier envers les femmes. James Ellroy le signale plus loin dans son récit : il ne faut pas céder à la tentation, tout aussi suspecte, de faire de toutes les femmes des victimes. Cependant, dans le Los Angeles qu’il dépeint, les femmes paient un lourd tribut, elles subissent la volonté de puissance, les pulsions violentes de ces hommes. Aucun propos démonstratif, didactique : la brutalité des faits, plutôt, l’interminable énumération des crimes, des meurtres.
Au final, Ma part d’ombre m’est apparu à la fois comme un chant élevé à la mémoire d’une femme disparue et comme une leçon d’écriture. J’en ressors bouleversée, un peu sonnée, je sens bien que je n’ai pas fini de penser à Jean Ellroy.

Pour qui ?
Pour tous ceux qui ont envie de découvrir Ellroy.

Le mot de la fin
Un chant funèbre.

James Ellroy, Ma part d'ombre (My Dark Places), Rivages/Thriller, 1997. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Freddy Michalski. Disponible en Rivages/Noir.

7 commentaires:

zarline a dit…

Toujours pas lu Le Dahlia Noir. J'ai l'impression que c'est mieux de commencer par là avant d'attaquer ce livre; je me trompe?

Tasha Gennaro a dit…

Pas indispensable mais je pense que c'est mieux, en effet. Et le livre est infiniment meilleur que le film.

Shelbylee a dit…

Il faut absolument que je le lise celui-ci ! J'en ai beaucoup entendu parlé et j'adore Ellroy, donc cela s'impose ! Ton avis accentue cette envie.

Tasha Gennaro a dit…

As-tu lu la série des Underworld USA (je déforme mais tu comprendras)? J'hésite à me lancer.

Jean-Marc a dit…

Avant le conseillerais bien le quatuor LA, avec le magnifique LA confidential (et après il faut regarder le Mesplède pour tous les titres).

Shelbylee a dit…

Non, il faut que je la lise ! Ma mère à le premier, il faut que je lui pique ^^
Et j'ai bien envie de relire le Quatuor de Los Angeles....

Tasha Gennaro a dit…

@ Jean-Marc : tu as raison, d'autant que j'aimerais bien voir ce que donne "en vrai" L.A. Confidential; j'ai vu et aimé le film.
@ Shelbylee : toi aussi, alors, le Quatuor, sans hésitation! Ah la la, faut vraiment que je me mette sérieusement à Ellroy. J'ai du mal à passer à autre chose, depuis!