jeudi 22 novembre 2012

Le Babouin blond de Janwillem Van de Wetering



Présentation
Par un soir de tempête épouvantable, de Gier et Grijpstra constatent la mort d’une femme à son domicile, à première vue accidentelle, mais résultant pourtant d’un meurtre, comme ne vont pas tarder à le comprendre nos deux acolytes. Parmi les suspects, un homme d’affaires italien, un collaborateur de la victime, et un étrange individu, le « babouin ».

Mon avis (colère)
J’ai déjà chroniqué un roman de Van de Wetering il y a quelques semaines. J’ai depuis poursuivi ma lecture avec Le Babouin blond, dont l’intrigue est tout aussi bien ficelée que celle des volumes précédents, avec ce qu’il faut de noirceur (dans le dénouement) pour en faire à mes yeux une série très intéressante. J’ai eu plaisir à retrouver de Gier et Grijpstra – même s’ils ne jouent pas de musique dans ce volume – ainsi que le commissaire, qui prend de plus en plus d’épaisseur au fil des volumes. Le personnage qui donne son (sur)nom au volume est particulièrement savoureux : Van de Wetering a décidément un joli talent pour brosser des personnages avec rapidité, tout en leur laissant le temps d’acquérir de la profondeur.
Mais ce n’est pas sur les mérites de ce roman que je voudrais m’attarder cette fois-ci.
Non. J’ai été gênée dans ma lecture. Le style était très inégal, passant de la préciosité la plus affirmée, dans le lexique et dans les tournures, à la trivialité et à la rapidité si emblématiques d’une certaine écriture polareuse. Non seulement les ruptures de ton étaient étranges, mais les passages les plus « littéraires » et recherchés sonnaient un peu faux. Ceci dit, j’ai appris des mots : je ne savais pas, ignorante que je suis, qu’une douleur pouvait être « térébrante » : OK, je n’ai retenu que ce mot, peut-être parce que j’étais moi-même affligée de douleurs (térébrantes, donc) dans le dos lorsque je lisais ce roman.
Bref.
J’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai différé la rédaction du billet. J’ai commandé le roman en anglais (il a fallu un peu de temps pour qu’il arrive).
Je ne suis pas traductrice, encore moins bilingue. Mais vous l’aurez remarqué, je peux lire certaines œuvres en anglais, si elles ne sont pas trop exigeantes ou trop éloignées de nous (dans le temps : j’ai souvenir d’avoir étudié Shakespeare dans mes jeunes années, c’était ben difficile). Je mesure (un peu) la difficulté de l’exercice de la traduction littéraire, ce qui me rend admirative face à l’excellent travail de nombreux traducteurs. J’ajoute que Rivages/Noir a largement contribué à changer la donne en ce qui concerne le polar, par un soin apporté à la traduction des œuvres étrangères, cela est incontestable.
Cependant, je reste perplexe devant Le Babouin blond, dont Rivages semble pourtant être le premier éditeur français. Je constate (et cela n’est pas un reproche fondamental) que plusieurs traducteurs se sont succédés sur les volumes de la série qui m’intéresse ici. Le Babouin blond est traduit par un certain André Simon, et j’avoue que certains de ses choix me semblent discutables. Il y a une préciosité dans le vocabulaire – pour certains passages – et des tournures alambiquées qui ne correspondent pas vraiment, me semble-t-il, au style de l’auteur. Son anglais n’est certes pas lapidaire, mais il y a une certaine limpidité dans les phrases et une simplicité dans la manière d’appréhender les faits. Voici quelques exemples :
Première page : « Detective-Sergeant de Gier agreed with him but he didn’t say so. He didn’t have to. »
La traduction française : « Le brigadier de Gier en convint mais n’eut point besoin de le dire. C’eût été superflu »
Bon, je passe sur le « c’eût été », admettons, concordance des temps (encore qu’un « c’était superflu » m’aurait paru tout aussi bienvenu et plus simple). Mais pourquoi ce « ne point » pour la négation ?
D’accord, je pinaille.
Au début du chapitre 3, j’ai été plus gênée (pour ne pas dire éberluée) par cette « douleur térébrante », obtenue étrangement à partir de la formule « cold pain ». Je ne sais pas quelle formulation serait juste, mais « térébrante », mille tonnerres !
Et ces drôles de tournures, qui compliquent une syntaxe originellement simple, en donnant à l’œuvre un côté précieux et chichiteux inattendu… Au début du chapitre 4, l’auteur écrit : « The room hab been neutral when the commissaris moved into it, many years back. » Cela devient : « Impersonnelle avait été la pièce avant que le commissaire ne s’y vînt installer, il y avait maintenant des années. » Sans rire, pourquoi ces inversions ? Cela donne un petit air ridicule au texte, non ? Plus loin, un personnage affiche un « jubilant visage » pour « bright face », tandis que, chez une femme, « the low top of her suit », devient « l’échancrure de son casaquin ».
J’arrête là. Je ne suis pas une puriste de la traduction, je n’ai pas les compétences pour cela. Mais celle-ci a vraiment gêné ma lecture, parce que ce n’était pas le style auquel j’étais habituée pour la série, et que cela faisait écran. J’ai du mal à comprendre : le traducteur a-t-il voulu rajouter sa patte à un texte de « mauvais genre » jugé trop simple, pas assez littéraire ? Est-ce un gag ? En tout cas, en regardant l’original, j’ai le sentiment que la traduction dénature le texte, surtraduit et donne une tonalité qui n’a pas lieu d’être.
Rivages proposera-t-il des traductions revues comme cela a été fait pour certaines séries récupérées chez d’autres éditeurs ? J’en doute. Mais on peut rêver.

Le mot de la fin
Je n’ai plus qu’à prier les bienveillantes divinités de la lecture que ce zélé traducteur ne sévisse point dans les volumes qui attendent dans ma pile à lire. Je ne souffrirai point que ce texte acratopège reçoive les outrages d’une maniérée traduction :  les accordailles entre la série et moi seraient assurément rompues.

Janwillem Van de Wetering, Le Babouin blond (The Blond Baboon), Rivages/Noir, 1987. Traduit de l'anglais par André Simon. Publication originale : 1978.

6 commentaires:

Shelbylee a dit…

J'adore ton billet ! Malheureusement je crois que certains traducteurs français ont des ambitions frustrées. Je suis comme toi horrifiée par les écarts de niveau de langage dans les exemples que tu cites. Au moins j'aurai appris des mots : térébrantes, acratopège. Cela arrive très souvent avec les traductions des années 50. Il faut lire les Jane Austen en français et en VO c'est hallucinant l'écart qu'il y a entre les 2.

Tasha Gennaro a dit…

Bon, je l'avoue, sur "le mot de la fin", j'ai cherché des mots désuets pour faire genre... Mais dans ce qui précède, c'est bel et bien dans le bouquin, et le pire, c'est qu'on est dans les années 1980 (je pense que 1987 est la première parution française). Je peux imaginer ce que ça donne pour Jane Austen. C'est comme les doublages de vieux films, tu sais, avec des voix pointues et un style recherché...

Emeraude a dit…

Grâce à toi j'ai appris deux mots aujourd'hui ;-)
En tout cas je comprends entièrement ta frustration. C'est pour ce genre de raison que Gallmeister a réédité les polars de Ross MacDonald.
Enfin ce que je retiens pour ma part, c'est que si je décide de me lancer dans cette série, ça sera en vo !

Deuzenn a dit…

La fin de ta critique m'a bien fait rire... mais il a fallut que j'aille voir dans un dictionnaire le sens de "acratopège"!!

Tasha Gennaro a dit…

Et j'en ai déjà oublié le sens!!! ;-)

Tasha Gennaro a dit…

@ Emeraude : les éditions Gallmeister font du travail remarquable. j'ai racheté les Mac Donald, lus il y a longtemps en 10/18, mais je n'ai pas encore mis le nez dedans. Oui, c'est vrai, parfois, mieux vaut aller directement à la VO, mais c'est dommage pour ceux qui ne s'en sentent pas capables...