Présentation éditeur
Simon, septuagénaire, a depuis longtemps rompu avec la France et avec ses enfants. Il est installé depuis des années à Madagascar, où il a monté une petite affaire de tourisme.
Mais lorsqu’une lettre de sa fille lui apprend que son frère, Guillaume, est lui aussi à Mada et qu’il ne donne plus signe de vie depuis plusieurs mois, Simon part aussitôt à sa recherche.
Par les routes et les pistes ravagées de la Grande Île, il suit les indices laissés par son fils. Au rythme chaotique de son voyage, de rencontres en souvenirs, Simon tente de se réapproprier son histoire. Mais n’est-il pas trop tard pour réparer le lien ténu qui l’unit encore à ses enfants ?
Ce que j'en pense
Ils sont rares, ceux qui parviennent à allier l'intime et le social, à dresser le portrait d'un homme tout en faisant un état de lieux d'un pays, à concilier tragédie d'un peuple et d'un père. Antonin Varenne est de ceux-là et il livre avec La piste du vieil homme un roman noir d'une grande force.
Simon a 70 ans, il vit depuis environ 20 ans à Madagascar, et il a laissé derrière lui deux enfants dont il n'a jamais bien réussi à s'occuper, surtout après la mort de leur mère. Et ce roman est le récit d'une relation père-fils mal engagée, d'une découverte mutuelle tardive et bancale (n'attendez pas la grande scène des retrouvailles avec violons). En cela, le road-trip entrepris par Simon sur les traces de Guillaume est une odyssée intime, un trajet de rédemption semé d'embûches et de cadavres.
Et il est fatigué, Simon. Antonin Varenne est le peintre subtil des corps qui se délitent sous les assauts du temps, de la mémoire qui vous rappelle, aux pires moments, les années de jeunesse, de l'amour fou pour Gaëlle, des odeurs de forêt de l'enfance. Il y a aussi soeur Françoise, son corps malmené par les années et par la fièvre, son corps de femme qui n'a pas connu les plaisirs de la chair, et qui se recroqueville. L'auteur évoque avec une grande puissance le corps blessé, pourrissant d'un autre personnage (chut!), moribond et pourtant si jeune.
La piste du vieil homme est de celles dont on ne revient pas, Simon était prévenu. Antonin Varenne nous broie le coeur avec ce superbe roman tragique, la tragédie d'un père, d'un homme, d'un pays, et il le fait par une écriture sans pathos, dans un récit à la première personne (à l'exception du chapitre 22, et ce changement narratif m'a flanqué la frousse) jamais complaisant. La complexité des rapports filiaux est exposée avec beaucoup de subtilité, la complexité des sentiments, des positions des uns envers les autres : rien n'est simple, personne ne vit dans une famille Ikea.
La tragédie intime se mêle au portrait d'une région du monde parmi les plus pauvres, les plus abandonnées : Madagascar. Antonin Varenne fait du road-trip de Simon l'occasion d'évoquer un pays ravagé par la corruption, la pauvreté, et dont la population survit avec rage et dignité. Les rencontres faites par Simon sont l'occasion de présenter des personnages incroyables : soeur Françoise et ses multiples casquettes, André l'instituteur de brousse, Sophie l'infirmière itinérante. Pendant que les puissants vendent les ressources du pays aux plus offrants, que la corruption ruisselle de haut en bas (c'est bien la seule chose qui ruisselle), ils sont quelques uns à se battre pour les populations. Il n'est qu'à voir le temps des déplacements d'un point à l'autre, les heures passées à franchir quelques kilomètres sur des pistes défoncées, pour saisir la difficulté de Madagascar à assurer des conditions de vie décentes à ses habitants : tout manque. Le pays souffre de la corruption de ses élites, d'une décolonisation en forme d'abandon, et d'une mentalité coloniale persistante. Et jamais Antonin Varenne ne se pose en donneur de leçons, jamais le roman n'est empêtré dans de grandes démonstrations. Non, le périple de Simon, ses rencontres suffisent à nous faire comprendre tout cela. Et surtout, le regard porté n'est jamais misérabiliste, car Simon - et derrière lui, sans doute, l'auteur - aime ce pays de toutes ses forces, sa vitalité, envers et contre tout. Antonin Varenne rend admirablement la capacité de négociation des personnages, la palabre : vers la fin du roman, le rapport de force et les négociations entre les Bara et les Dahalo sont une merveille de tendresse, d'humour et d'humanité.
Faites-moi confiance : vous refermerez le livre émus, secoués, heureux d'avoir emprunté "la piste du vieil homme" avec Simon.
Antonin Varenne, La piste du vieil homme, Gallimard La Noire, 2024.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire