dimanche 24 mars 2024

Vieux Kapiten de Danü Danquigny



Présentation éditeur

En Albanie, un vieil officier de la sécurité intérieure spécialisé dans les écoutes téléphoniques se lance dans une croisade personnelle contre un de ses anciens amis, aujourd’hui à la tête d’une organisation criminelle.
En France, Desmund Sasse enquête sans discrétion sur le meurtre d’un jeune type, et va bientôt devoir fuir pour sauver sa peau. Pendant ce temps-là, son amie Élise Archambault, détective privée, est embauchée par un avocat véreux pour retrouver son fils.
Des trottoirs bitumés de Morclose aux montagnes vertes de l’Épire, trois enquêtes que rien ne semble relier explorent la haine et la vengeance. Elles vont finir par entrer en collision au pied du cimetière des martyrs de Korcë, en Albanie.

Ce que j'en pense

Ah que c'est bon de retrouver Desmund Sasse, notre Peter Punk! De l'Albanie à Morclose, on le retrouve en train de mettre son nez là où il ne faut pas : gêneur patenté, il entreprend d'abord de faire mettre sous les verrous un caïd local, et comme ça ne fonctionne pas, de virer le trafic de la came de sa cité sinistrée, dominé par un triste sire. Pour cela, il entreprend de convaincre, d'une curieuse manière que je vous laisse découvrir, le fournisseur en Albanie. Il remonte à la source, en somme. De la Bretagne à l'Albanie, c'est la même pourriture, la même gangrène. On retrouve toute la saveur du précédent opus, une façon de brosser le portrait d'une ville moyenne de province qui, depuis longtemps, n'est plus épargnée par les trafics en tout genre, drogue, prostitution, le tout avec la bénédiction intéressée des notables locaux et dans un contexte délétère. Il y a de très belles lignes, vers le début du roman, sur notre jeunesse, qu'on "gère comme un stocke de marchandise, ou comme on mène le bétail. (...) L'immense majorité d'entre eux, sauf les 'fils de', bien sûr, vont traverser un tunnel de précarité de plusieurs années, à enchaîner les stages peu ou pas payés, les CDD reconduits en CDI pour être virés plus facilement et sans indemnités, en se faisant rabrouer les oreilles de vieux refrains sur le goût de l'effort ou le projet d'entreprise."

En Albanie, ce n'est évidemment pas mieux : Danü Danquigny enchevêtre les trajectoires et enrichit son évocation empathique d'un pays qui était au coeur des Aigles endormis. Le Kapiten qui donne son nom au roman est le vestige d'un régime, d'un pays qui n'est plus, qui a été jeté aux chiens, à la version la plus pure du capitalisme, celle des trafiquants et des voyous. Il sait qu'il a fait les mauvais choix, il est la métaphore d'un pays saccagé. 

Il faut lire le chapitre "Ce que je crois", empli de la rage du personnage, qui s'exprime en des pages superbes rythmées par l'anaphore "Je crois". 

Et puis il y a ce plaisir de retrouver Marv', Elise, et de voir défiler scènes et personnages déjantés et abîmés, furieux et pathétiques. J'aime cette folie et ce rythme, typiques d'une littérature de genre parfaitement maîtrisée. Desmund est à la fois un perdant magnifique et un héros XXL, fracassé et prêt à se sacrifier. Mais à ce jeu, le Kapiten va le surpasser. 

Bref, une excellente lecture, une de plus!


Danü Danquigny, Vieux Kapiten, Gallimard, Série Noire, 2024. 



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