mercredi 3 janvier 2024

Chevreuil de Sébastien Gendron



Présentation éditeur

Tout va bien pour Connor Digby. Sujet britannique, auteur de romans jeunesse à succès, il vient de retrouver l’amour en la personne de Marceline, une femme tout à fait à sa mesure et, pour ainsi dire, tombée du ciel. Seulement voilà, le village français dans lequel il est installé depuis une demi-douzaine d’années se met brusquement à le détester. Il faut dire que la population locale, franchement raciste et réactionnaire, n’a que cet étranger à se mettre sous les crocs.
Un vent épique se lève enfin sur ce petit coin de France, et Connor et Marceline sont bien décidés à en profiter pour rejouer la guerre de Cent Ans.

Ce que j'en pense

Vous ne connaissez pas le village de Saint Piéjac? Si, vous connaissez. OK, il ne s'appelle peut-être pas Saint Piéjac, mais vous le connaissez. Vous y vivez peut-être. C'est un coin comme il existe par milliers dans notre beau pays. C'est un concentré de la bêtise, de la méchanceté et de la haine de l'autre, tristement ordinaire. Il faut tout le talent de Sébastien Gendron pour en faire un lieu romanesque, et il en a, du talent ! 

Il faut l'imaginer assembler les pièces de son jeu de massacre : un Anglais pas très intégré parmi les ploucs franchouillards, prompts à détester tout ce qui vient d'ailleurs, une femme en fuite qui va trouver refuge dans ses bras, et une poignée d'autochtones comme on en fait par millions, crétins décérébrés, petits coqs de fumier local, chasseurs aux rêves de conquérants, et méchants très méchants. Secouez le tout, hissez le drapeau (britannique), et c'est de la nitroglycérine qui explose en mille couleurs. 

Sébastien Gendron a l'art de croquer avec férocité et jubilation ce qu'il y a de pire dans notre société, et là où certains nous livrent une vision enchantée de nos bourgades ou une vision décliniste de la ruralité, il s'en donne à coeur joie dans la satire. Le Saint Piéjac de Chevreuil, c'est un village français, avec ses petits notables qui font la pluie et le beau temps, son culte de la bagnole et des engins motorisés avec leurs mochetés de parking, ses privilèges de hobereaux dégénérés et armés. C'est un village français d'aujourd'hui mais qui voudrait bien vivre encore dans un "hier" idéalisé et factice, fermé sur lui-même et qui fantasme les périls venus d'ailleurs. Point d'Arabes ou de Noirs dans les parages? Qu'à cela ne tienne, on s'en prend aux Ukrainiens venus manger le pain des Français, et à cet Anglais, une sorte d'ennemi héréditaire aux yeux de ces idiots. 

Tout ça est à la fois terrifiant et hilarant, parce que Sébastien Gendron a le sens des situations absurdes et des dialogues ébouriffants. Chevreuil est un roman noir héroï-comique, qui nous fait une épopée à partir de presque rien, du trivial, concluant dans un final "hénaurme", tandis que Il Duce, imperturbable, continue son chemin (lisez, vous comprendrez). 

L'air de rien, il rassemble un vrai bestiaire, on se régale avec les titres de chapitres, et tout ça se finit avec des asticots. Nos tristes sires, qui rêvent de l'affrontement avec le chevreuil, véritable seigneur des lieux, indifférent et majestueux, ne sont que des sangliers qui foncent aveuglément et finissent par se rentrer dedans. 

Mention spéciale à la scène d'ouverture : la gamine qui se fait bouffer par les lionceaux, je suis fan. Au risque de me répéter : lisez, vous comprendrez. 

On passe d'un zoo à l'autre, en somme. 

Embarquez avec Connor et Marceline, ça vous donnera du pep's et de la férocité pour commencer 2024 comme il se doit. 


Sébastien Gendron, Chevreuil, Gallimard, La Noire, 2024. 



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