dimanche 8 mars 2020

September September de Shelby Foote



Présentation éditeur
Septembre 1957 marque une date importante dans l’histoire des luttes raciales aux États-Unis : le gouverneur de l’Arkansas, Orval Faubus, brave la Constitution, les forces de l’ordre et la volonté du président Eisenhower en interdisant à neuf élèves noirs l’entrée de leur collège de Little Rock. Le même mois, à Memphis, trois apprentis gangsters que l’on pourrait qualifier de pieds nickelés planifient et mettent à exécution un projet dont l’ironie est criante : ils sont blancs, mais le jeune garçon qu’ils vont kidnapper est issu d’une famille aisée de la bourgeoisie noire. Sur fond d’émeutes retransmises par la télévision, nous voyons Podjo, joueur invétéré et stratège du trio, Rufus, l’abruti obsédé sexuel, et sa copine, l’aguicheuse Reeny, louer une maison isolée, séquestrer le petit Teddy et toucher la rançon. Et ensuite? Ensuite, c’est comme dans un roman noir…


Ce que j'en pense
Il faut que je vous dise : j'ai fait une lecture étrange de September September. J'ai lu environ la moitié, mais ne pas savoir ce qu'il allait advenir du petit Teddy me rendait complètement folle, parce que je voyais bien que Rufus commençait à partir en vrille. Et je me crispais de plus en plus. Qu'ai-je donc fait? Cela en fera hurler certains : j'ai lu les 50 dernières pages. Mais comme ça ne suffisait pas, je suis remontée encore. Puis, satisfaite parce que je savais, j'ai repris là où je m'étais d'abord arrêtée, et je me sentais mieux.
N'allez pas croire que Shelby Foote écrit un thriller, nom d'une pipe, pas du tout, c'est un roman noir, mais le dispositif narratif, l'alternance des points de vue, tout cela insuffle un rythme très particulier, avec parfois, dans le récit, une sorte de retour en arrière, tout simplement parce qu'on traite le même moment mais vu par Eben puis par Podjo ou Rufus. Cela diffère donc l'avancée de l'intrigue, et c'est ce qui me rendait zinzin. Par conséquent, une fois que j'ai su comment tout ça allait se finir, j'ai pu me laisser porter par le rythme du récit sans problème. Et Shelby Foote s'y entend pour construire sa mécanique narrative, pour donner corps et vie à ses différents personnages.
Et qu'ils sont magnifiques, ces personnages! Un mauvais auteur aurait sombré dans la facilité, fait des ravisseurs de purs rednecks à moitié débiles, là où Shelby Foote dresse des portraits subtils. Ils ne sont même pas des enragés du racisme, même s'ils ne sont pas non plus des progressistes. Ce sont des opportunistes, qui entendent profiter de la force du KKK et des évènements liés à la lutte pour les droits civiques qui accaparent la police et dressent les foules blanches contre les noirs. Qui s'intéressera à l'enlèvement d'un petit garçon à la peau noire dans ces circonstances? Quant à la famille d'Eben, elle échappe aussi à toute caricature. Le kidnapping fonctionne comme une sorte de révélateur pour le couple et pour Eben dans ses relations à sa belle-famille. C'est l'occasion pour lui de trouver sa place d'époux, de père, de s'affirmer face à la toute-puissance du patriarche, qui n'a lui-même rien d'un ogre, mais qui représente une forme de compromission opportuniste à sa façon.
Shelby Foote aborde ainsi la question de la ségrégation, du statut des uns et des autres au sein de la société américaine (noirs, blancs, femmes, employés subalternes), de la puissance de l'argent, et il n'a pas besoin pour cela de discours grandiloquents ou d'actions démonstratives. Outre le contexte évènementiel, qui appartient à l'Histoire des Etats-Unis, ses personnages incarnent ces permanences et ces changements, jetés qu'ils sont dans une tragédie dont ils sont les acteurs dépassés.
Voilà un roman qui a toute sa place dans la superbe collection La Noire, qui enchaîne les pépites, pour le plus grand bonheur des lecteurs.

Shelby Foote, September September, Gallimard / La Noire, 2020. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) parJane Fillion , traduction révisée par Marie-Caroline Aubert.

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