dimanche 8 mars 2020

La fabrique de la terreur de Frédéric Paulin



Présentation éditeur
" Cette nuit, il y aura des affrontements, il y aura des blessés et des morts. Il y aura la volonté farouche d'un peuple de mettre à bas ses dirigeants. "
Janvier 2011 : après l'immolation de Mohamed Bouazizi, jeune marchand ambulant poussé au désespoir par la misère et l'arbitraire, le peuple tunisien se soulève et " dégage " Ben Ali. C'est le début des " printemps arabes ", et Vanessa Benlazar, grand reporter, est aux premières loges. Derrière la liesse populaire, la jeune Française pressent que cette révolution court le risque d'être noyautée par les islamistes, toujours prompts à profiter d'un vide du pouvoir. Bientôt, la chute de Khadafi, la guerre civile en Syrie et le chaos qui s'installe dans tout le Levant lui donnent raison : un nouveau groupe semble émerger peu à peu des décombres, venu d'Irak pour instaurer un califat dans la région ; un groupe dont la barbarie est sans limite, aux méthodes de recrutement insidieuses et modernes, et qui prône la haine de l'Occident.
À Toulouse, justement, Laureline Fell, patronne de l'antenne locale de la DCRI tout juste créée par Sarkozy, s'intéresse à un certain Merah, soupçonné de liens avec des entreprises terroristes. Mais les récentes réformes du renseignement français ne lui facilitent pas la tâche. Quand le pire advient, Fell comprend que la France n'est pas armée pour affronter ce nouvel ennemi qui retourne ses propres enfants contre leur pays : d'autres jeunes sont prêts à rejoindre l'État islamique, autant de bombes à retardement que Laureline, avec l'aide de Vanessa, va tenter de désamorcer.

Ce que j'en pense
Je le redoutais autant que je l'attendais, ce volume de clôture. C'est casse-gueule, de finir une telle trilogie, de garder la force des deux premiers romans et de terminer. Et bon sang, quelle maestria! Frédéric Paulin continue de tenir ensemble des liens multiples, des personnages de la Tunisie à la Belgique en passant par Toulouse et Paris, il nous montre la toile en train de se tisser, il nous expose la "fabrique de la terreur". Comme pour le 11 septembre 2001, il ne s'appesantit pas sur les évènements qui ont bouleversé des vies mais aussi l'ordre du monde, ces évènements sont plutôt les symptômes ou les aboutissements de ce qu'il montre. J'ai rarement vu une façon aussi efficace de montrer la dérive de personnages vers le terrorisme (et bon sang, j'en ai lu des bouses romanesques sur la radicalisation), de pointer les phénomènes politiques, économiques et sociaux. Nul misérabilisme chez Paulin, il n'excuse pas, n'accuse pas, il explique, démonte, démontre.
Ce que je trouve extraordinaire, c'est cette façon d'empoigner le lecteur et de le captiver, de déployer une telle force romanesque sans avoir le moins du monde recours au pathos, en restant dans la factualité de trajectoires individuelles, toutes singulières. Je n'oublierai pas de sitôt Benlazar, Benlazar qui vieillit, Benlazar et son loup, ses cauchemars. Wassim et Simon sont aussi des personnages magnifiques et déchirants, et il n'y a rien de dégoulinant et de lénifiant dans leurs portraits, Paulin ne fait pas la leçon bien-pensante que certains n'ont pas manqué de faire. Il n'assène rien, il est beaucoup plus fort que cela : il amène le lecteur à se questionner encore et toujours sur tout cela, sur la marche du monde, sur lui-même.
Ce troisième volume, c'est la marche inexorable vers le chaos, et aussi vers la mort pour nombre de personnages, qu'ils soient apparus dans ce volume ou présents depuis le début de la trilogie. Frédéric Paulin a un talent tout particulier pour évoquer la mort de ses personnages (chut! je ne peux en dire plus), et là encore, sans recherche d'effets à deux balles, il vous retourne le coeur comme j'ai rarement vu.
Comme de juste, la trilogie se clôt sur les attentats de novembre 2015, comme un point d'orgue, et ce n'est rien de dire que la fin est réussie: elle est prodigieuse de talent, de sobriété, de puissance. Je suis sortie de La fabrique de la terreur sonnée, bouleversée. Et convaincue définitivement que Frédéric Paulin est un auteur majeur du roman noir, et un grand écrivain, tout simplement.


Frédéric Paulin, La fabrique de la terreur, Agullo, 2020.

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