samedi 12 mai 2018

Hével de Patrick Pécherot


Présentation de l'éditeur
Janvier 1958. À bord d’un camion fatigué, Gus et André parcourent le Jura à la recherche de frets hypothétiques. Alors que la guerre d’Algérie fait rage, les incidents se multiplient sur leur parcours. Tensions intercommunautaires, omniprésence policière exacerbent haines et rancœurs dans un climat que la présence d’un étrange routard rend encore plus inquiétant… 
2018. Gus se confie à un écrivain venu l’interroger sur un meurtre oublié depuis soixante ans. Il se complaît à brouiller les cartes et à se jouer de son interlocuteur. Quelles vérités se cachent derrière les apparences? 


Ce que j'en pense
Patrick Pécherot constitue selon moi une voix à part dans le paysage du roman noir français : il est l'un des seuls à proposer des romans historiques authentiquement noirs, ou du roman noir historique. Il gratte les plaies de l'Histoire, avec un talent fou pour faire revivre une époque, des lieux, des personnes. Dans Hével il évoque la guerre d'Algérie en faisant un pas de côté  : c'est vu de France que le conflit est abordé, sans combats ni bombes. Comme toujours, Patrick Pécherot situe son intrigue dans la zone grise, se défiant de tout didactisme, de tout manichéisme aussi. Gus, personnage et narrateur de ce roman qui se situe à deux niveaux temporels (1958, 2018 pour le récit fait par un Gus vieillissant à un journaliste ou écrivain, on ne sait trop), n'est pas un type sympathique, ni héros aux belles idées ni ordure patentée. Non, juste un type ordinaire, de son époque, un Français de métropole pris dans des discours coloniaux et racistes, et que les évènements vont éprouver dans ses certitudes. Patrick Pécherot évoque avec beaucoup de finesse ces trajectoires tragiques : celle d'un Algérien qui fuit la police, probable militant du FLN ; celle d'un appelé déserteur, tueur de flic en des temps troublés ; mais aussi celles de ces travailleurs immigrés algériens, eh oui, déjà, entassés dans des logements de fortune. 
Cette fois Patrick Pécherot délaisse les villes pour un coin perdu dans le Jura, avec une intrigue en forme de road-movie. Enfin, road-movie sur des espaces plutôt confinés, tout de même, sans nulle impression d'espaces ouverts à l'infini : on se sent à la fois perdu et enfermé dans ce paysage de montagne, brumeux à souhait (comme la réalité). Tout devient inquiétant, dans ces montagnes et ces forêts, l'idée même de la fuite est illusoire, et pourtant ces montagnes ont sauvé des vies pendant l'Occupation... C'est très beau et très fort, et je me souviendrai longtemps de ce lynx à la présence si intense. 
Enfin, Patrick Pécherot a beau parler d'une période de l'Histoire française qui continue à pincer là où ça fait mal, il parle aussi de nos temps troublés : je surinterprète peut-être, mais cette France de 1958, où police et armée sont partout, arrêtant le narrateur (on est en période de paix, officiellement) alors qu'il se promène la nuit, me fait penser à notre début de XXIème siècle. Suspicions, arrestations, surveillance...
Quoi qu'il en soit, Patrick Pécherot signe avec Hével un très beau roman noir et continue à construire une oeuvre singulière. 

Patrick Pécherot, Hével, Gallimard Série noire, 2018. Disponible en ebook.

1 commentaire:

Electra a dit…

Impressionnant ! tu es n pro des polars ! il faudrait que je t'emmène quand je vais aux rayons polars de ma bibli !