Présentation éditeur
La République est
paralysée. L’Élysée est à gauche mais l’Assemblée à droite. Très à droite :
impossible pour Hélène Cassard, nommée à Matignon, de gouverner sans le soutien
des députés du Rassemblement national, le parti extrémiste. Dans un paysage
politique en pleine déliquescence, les convictions sont mises à l’épreuve du
pouvoir et les hommes de l’ombre s’agitent autour d’un enjeu de taille :
l'appartenance de la France à l’Europe.
L’un d’eux, François Belmont, ambitionne de
faire éclater les vieux clivages. Rien ne semble résister au grand argentier de
la campagne d’Hélène Cassard. À moins que la mort de Christian Dumas, président
de la Commission des comptes de campagne, chargé de veiller sur la légalité du
financement de la vie politique, ne vienne compromettre ses plans
?
Ce que j’en pense
J’avais lu et aimé Les initiés, précédemment paru à la Série
Noire, j’étais donc partante pour En pays conquis. Et croyez-moi, ça a été une curieuse
expérience.
D’abord, je ne savais pas que j’allais retrouver certains
des personnages des Initiés, et au début du roman, j’essayais de me souvenir
qui était qui dans le précédent roman ; c’est d’ailleurs un peu idiot de ma
part, on peut très bien lire En pays conquis sans avoir lu Les Initiés. Mais ça
m’a perturbée, parce que je n’arrivais pas à m’y retrouver. Heureusement, c’est
passé très vite, j’ai ensuite trouvé mes marques et c’était parti pour un
nouveau tour de manège.
Ensuite, la lecture de ce roman a été une expérience
troublante parce que je l’ai lu alors que se déroulait le deuxième tour des
primaires socialistes, avec la perspective d’une présidentielle effrayante. Du
coup, les discussions sur la possible ou l’impossible alliance entre les
socialistes et la gauche (et ne venez pas me dire que les socialistes sont de gauche aujourd'hui), avec Macron qui s’agite en arrière-plan et gagne des intentions de
vote, eh bien, disons que ça trouvait un écho troublant dans le roman. Du coup,
inutile de préciser que cette lecture a plutôt généré de l’angoisse, ou peut-être
est-ce l’inverse : les primaires étaient d’autant plus angoissantes que En
pays conquis mettait des mots sur ce qui pourrait arriver (à savoir, un chaos
politique complet).
Mais tout cela est bien beau, mais d’une certaine façon, ça
ne concerne que moi, me direz-vous. Qu’en est-il de ce roman ?
Il est passionnant. Passionnant parce qu’en effet, Thomas
Bronnec est très documenté, il semble parfaitement connaître les arcanes de la
politique, à la fois d’un point de vue technique et analytique. Donc il ne dit
pas n’importe quoi quand il parle de financement des campagnes politiques, il
connaît la constitution, etc. Et puis il connaît la façon de fonctionner des
politiques, leurs stratégies hautement tordues, leurs manières d’informer la
presse sans le faire vraiment, entre autres petites manipulations.
Ce qui rend En pays conquis passionnant, c’est aussi la
façon dont Thomas Bronnec donne le point de vue de plusieurs personnages sur
des évènements qui se déroulent sur une période très courte. Le roman s’ouvre
sur les résultats des législatives et suit les réactions (en pensée, en actes)
de personnages qui ont tous partie liée avec la chose d’état, à un titre ou à
un autre. Il donne ainsi la parole (si je puis dire) au Président de la
République, à la femme nouvellement nommée au poste de Premier Ministre et à
son conseiller, au tout aussi nouveau Ministre des Finances, à une
fonctionnaire de Bercy liée à titre personnel au conseiller… C’est une galerie
de portraits tantôt effrayante, tantôt pathétique. De l’ambition personnelle à
la corruption établie, du sacrifice de soi à l’incarnation de l’Etat, chacun
représente un certain rapport, ancré historiquement, à la chose d’état. N’allez
pas croire que ce ne sont pas pour autant de vrais personnages, car ils sont
dotés d’une véritable épaisseur romanesque.
Et puis si En pays conquis est un roman politique, il n’assène
rien. Il expose, il élabore dans un contexte réaliste des trajectoires et un
scénario politique possibles. Ce n’est pas un roman à thèse, c’est un roman qui
pose des questions. Bon, moi ça me colle les miquettes, mais c’est parce que je
suis une petite nature.
Enfin, un dernier aspect me passionne dans ce roman, c’est
son rapport au genre et aux codes du genre. Car le roman s’ouvre sur une mort,
qui pourrait sembler suspecte. Mais qui ne l’est pas au sens polar. Et au fond, les vraies
déviances criminelles sont celles de ces personnages politiques, le cadavre est
celui de l’Etat ou d’une certaine idée de l’Etat. En pays conquis illustre
parfaitement à mes yeux la distinction entre polar et roman noir : pas d’enquête,
même pas vraiment de cadavre. Le crime est ailleurs, il est politique (ou
social, mais c’est parfois pareil). Et c’est pour ça que j’aime le noir.
Si vous voulez lire un entretien avec l'auteur, allez voir chez Nyctalopes.
Thomas Bronnec, En pays
conquis, Gallimard Série Noire, 2017. Disponible en ebook.
2 commentaires:
je n'arrive pas à m'intéresser à la politique de manière romancée - pourtant je croise souvent aussi l'oeuvre de Marc Dugain. Et là la proximité avec la situation actuelle me fait encore plus reculer ! mais ton billet est superbe et l'auteur serait ravi. Ce n'est juste pas pour moi !
Je comprends très bien, et d'autant plus que ça rappelle furieusement certains aspects de la vie politique française, et pas les meilleurs...
Enregistrer un commentaire