samedi 4 février 2017

En pays conquis de Thomas Bronnec


Présentation éditeur
La République est paralysée. L’Élysée est à gauche mais l’Assemblée à droite. Très à droite : impossible pour Hélène Cassard, nommée à Matignon, de gouverner sans le soutien des députés du Rassemblement national, le parti extrémiste. Dans un paysage politique en pleine déliquescence, les convictions sont mises à l’épreuve du pouvoir et les hommes de l’ombre s’agitent autour d’un enjeu de taille : l'appartenance de la France à l’Europe. 
L’un d’eux, François Belmont, ambitionne de faire éclater les vieux clivages. Rien ne semble résister au grand argentier de la campagne d’Hélène Cassard. À moins que la mort de Christian Dumas, président de la Commission des comptes de campagne, chargé de veiller sur la légalité du financement de la vie politique, ne vienne compromettre ses plans ?


Ce que j’en pense
J’avais lu et aimé Les initiés, précédemment paru à la Série Noire, j’étais donc partante pour En pays conquis. Et croyez-moi, ça a été une curieuse expérience.
D’abord, je ne savais pas que j’allais retrouver certains des personnages des Initiés, et au début du roman, j’essayais de me souvenir qui était qui dans le précédent roman ; c’est d’ailleurs un peu idiot de ma part, on peut très bien lire En pays conquis sans avoir lu Les Initiés. Mais ça m’a perturbée, parce que je n’arrivais pas à m’y retrouver. Heureusement, c’est passé très vite, j’ai ensuite trouvé mes marques et c’était parti pour un nouveau tour de manège.
Ensuite, la lecture de ce roman a été une expérience troublante parce que je l’ai lu alors que se déroulait le deuxième tour des primaires socialistes, avec la perspective d’une présidentielle effrayante. Du coup, les discussions sur la possible ou l’impossible alliance entre les socialistes et la gauche (et ne venez pas me dire que les socialistes sont de gauche aujourd'hui), avec Macron qui s’agite en arrière-plan et gagne des intentions de vote, eh bien, disons que ça trouvait un écho troublant dans le roman. Du coup, inutile de préciser que cette lecture a plutôt généré de l’angoisse, ou peut-être est-ce l’inverse : les primaires étaient d’autant plus angoissantes que En pays conquis mettait des mots sur ce qui pourrait arriver (à savoir, un chaos politique complet).
Mais tout cela est bien beau, mais d’une certaine façon, ça ne concerne que moi, me direz-vous. Qu’en est-il de ce roman ?
Il est passionnant. Passionnant parce qu’en effet, Thomas Bronnec est très documenté, il semble parfaitement connaître les arcanes de la politique, à la fois d’un point de vue technique et analytique. Donc il ne dit pas n’importe quoi quand il parle de financement des campagnes politiques, il connaît la constitution, etc. Et puis il connaît la façon de fonctionner des politiques, leurs stratégies hautement tordues, leurs manières d’informer la presse sans le faire vraiment, entre autres petites manipulations.
Ce qui rend En pays conquis passionnant, c’est aussi la façon dont Thomas Bronnec donne le point de vue de plusieurs personnages sur des évènements qui se déroulent sur une période très courte. Le roman s’ouvre sur les résultats des législatives et suit les réactions (en pensée, en actes) de personnages qui ont tous partie liée avec la chose d’état, à un titre ou à un autre. Il donne ainsi la parole (si je puis dire) au Président de la République, à la femme nouvellement nommée au poste de Premier Ministre et à son conseiller, au tout aussi nouveau Ministre des Finances, à une fonctionnaire de Bercy liée à titre personnel au conseiller… C’est une galerie de portraits tantôt effrayante, tantôt pathétique. De l’ambition personnelle à la corruption établie, du sacrifice de soi à l’incarnation de l’Etat, chacun représente un certain rapport, ancré historiquement, à la chose d’état. N’allez pas croire que ce ne sont pas pour autant de vrais personnages, car ils sont dotés d’une véritable épaisseur romanesque.
Et puis si En pays conquis est un roman politique, il n’assène rien. Il expose, il élabore dans un contexte réaliste des trajectoires et un scénario politique possibles. Ce n’est pas un roman à thèse, c’est un roman qui pose des questions. Bon, moi ça me colle les miquettes, mais c’est parce que je suis une petite nature.
Enfin, un dernier aspect me passionne dans ce roman, c’est son rapport au genre et aux codes du genre. Car le roman s’ouvre sur une mort, qui pourrait sembler suspecte. Mais qui ne l’est pas au sens polar. Et au fond, les vraies déviances criminelles sont celles de ces personnages politiques, le cadavre est celui de l’Etat ou d’une certaine idée de l’Etat. En pays conquis illustre parfaitement à mes yeux la distinction entre polar et roman noir : pas d’enquête, même pas vraiment de cadavre. Le crime est ailleurs, il est politique (ou social, mais c’est parfois pareil). Et c’est pour ça que j’aime le noir.

Si vous voulez lire un entretien avec l'auteur, allez voir chez Nyctalopes.

Thomas Bronnec, En pays conquis, Gallimard Série Noire, 2017. Disponible en ebook.  

2 commentaires:

Electra a dit…

je n'arrive pas à m'intéresser à la politique de manière romancée - pourtant je croise souvent aussi l'oeuvre de Marc Dugain. Et là la proximité avec la situation actuelle me fait encore plus reculer ! mais ton billet est superbe et l'auteur serait ravi. Ce n'est juste pas pour moi !

Tasha Gennaro a dit…

Je comprends très bien, et d'autant plus que ça rappelle furieusement certains aspects de la vie politique française, et pas les meilleurs...