Présentation éditeur
Mai 1967, la Guadeloupe est sous pression. Une manifestation dégénère en une émeute sévèrement réprimée par la préfecture. Dans les jours qui suivent, les rumeurs évoquent des dizaines de morts, et de nombreux Guadeloupéens sont arrêtés et enfermés en métropole, avant d’être jugés pour sédition. Lucille, la compagne du journaliste Luc Blanchard, en fait partie.
Pour l’innocenter, Blanchard se lance dans une enquête qui le mène jusqu’aux plus hautes instances du gouvernement gaulliste. Et ses révélations sont un caillou de plus dans la chaussure d’édiles totalement dépassés par la colère contre un pouvoir qui cherche à étouffer les aspirations des populations d’outre-mer, mais aussi celles de la jeunesse qui descend dans la rue en mai 68.
Ce que j'en pense
Thomas Cantaloube clôt avec Mai 67 sa trilogie sur la Vème République, qu'il saisit par des aspects méconnus parce que planqués sous le tapis par l'Histoire officielle. Il s'attache ici au soulèvement violemment réprimé de mai 67 en Guadeloupe, qui a fait l'objet d'une occultation claire et nette par le pouvoir, sur fond d'absence de bilan chiffré des victimes et d'archives disparues (comme c'est commode). C'est grâce à Luc Blanchard, son héros ex-flic et journaliste, et sa compagne Lucille, qu'il nous donne à voir cet évènement, entrelaçant avec brio histoire personnelle et histoire collective. D'une plume fluide et didactique, il m'a donné à comprendre des évènements que, je l'avoue, je ne connaissais pas. Thomas Cantaloube est précis mais jamais pesant, il travaille avec une connaissance documentée sur des évènements qu'il ordonne, sans jamais perdre de vue le propos de sa trilogie. Avec ses trois romans, il montre que la Vème République est le régime d'une décolonisation ratée et pourrie dans ses fondements, ne serait-ce que parce qu'elle est incapable d'affronter la vérité de la colonisation (on n'en est pas sortis).
Et puis il y a le plaisir de retrouver les personnages de Thomas Cantaloube, Blanchard, Lucchesi et Volkstrom. Oserai-je le dire? Je les aime tous les trois, oui, même Volkstrom, pourtant peu recommandable. Thomas Cantaloube sait donner de l'épaisseur à ses personnages, ils ne sont pas des incarnations d'idées, ils sont des êtres dotés de leur histoire, de leurs contradictions, et de leurs valeurs, même si on ne les partage pas.
On retrouve le talent de l'auteur dans des scènes de bravoure, des scènes d'anthologie, diraient certains : la scène de la manifestation qui tourne au bain de sang est menée avec virtuosité, et me reste en tête la savoureuse scène de Lucchesi qui en a soudain ras la casquette de ses clients richards insupportables et prend les mesures qui s'imposent. C'est le côté western de Thomas Cantaloube, et j'adore ça. Il excelle aussi dans l'évocation du procès et des conditions de détention, en métropole, de Lucille et de ses compagnons. La violence du système judiciaire, la déshumanisation des prévenus, le racisme structurel des institutions : tout y est, tout fait écho au présent.
Intelligent, rythmé et fluide, Mai 67 est à lire absolument, et j'ai hâte pour ma part de voir ce que Thomas Cantaloube nous réserve pour la suite.
Thomas Cantaloube, Mai 67, Gallimard, Série Noire, 2023.
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