Présentation éditeur
Quand Susan Fox, directrice de l’école de filles Lovegood, choisit la radieuse Meredith Jellicoe pour partager la chambre de Feron Hood, elle a l’intention de faire oublier à cette dernière le passé traumatique auquel elle vient d’échapper. En fait, elle crée un lien puissant entre les deux jeunes filles, cimenté par un cours de littérature et d’écriture suivi en commun. Cette relation ne se brise ni quand Meredith doit prendre en catastrophe la tête de la plantation de tabac familiale suite à la mort de ses parents, ni quand Feron part faire sa vie à New York et y publie un livre, puis deux, puis trois. Au fil des années, ces deux femmes que tout sépare maintiennent ce lien sacré de sororité, qui leur permet de puiser l’une dans l’autre la force dont elles ont besoin pour avancer.
Ce que j'en pense
Qu'est-ce qui fait un écrivain? Qu'est-ce qui construit l'amitié? Les deux questions s'imbriquent dans le nouveau et très beau roman de Gail Godwin, romancière de la nuance.
Feron et Meredith Grace font connaissance au Lovegood College, et a priori tout les oppose, en particulier leur histoire personnelle. Pourtant, en faire des camarades de chambrée est une idée de génie, tant elles sont faites pour s'entendre.
Le roman est sinueux comme l'est la vie des deux protagonistes, plein de ruptures, de bifurcations, de surprises. Meredith a quelque chose de lumineux, tout au long du roman, sans doute parce que ses jeunes années, sans être dépourvues d'ombres (la dépression récurrente de la mère), ont été dépourvues de dureté et emplies d'amour. Feron restera marquée à jamais par la violence vécue.
Même si toutes deux connaissent de solides amours, Feron m'a semblé, tout au long du roman, irrémédiablement seule, en dépit de la présence de figures masculines (familiales) bienveillantes. Meredith a été aimée et entourée, soutenue. Pourtant, la vie de cette dernière bascule dans la tragédie, tandis que celle de Feron, somme toute, se stabilise.
Tout les oppose et pourtant. "Parce que c'était lui, parce que c'était moi" : ces deux-là sont liées à tout jamais par une amitié que personne ne peut défaire, même si elles restent parfois éloignées l'une de l'autre pendant des années.
Ce sont aussi des jeunes filles puis femmes liées par l'amour de la littérature et de l'écriture. Meredith va être confrontée à la nécessité de subvenir aux besoins de la famille, aux déflagrations historiques aussi (le Vietnam), à de grands changements ; Feron ne porte pas ce poids-là, grâce à la bienveillante vigilance de son oncle puis de son cousin, et dans ses années new-yorkaises, ne s'encombre même pas d'un logement à elle. C'est dire qu'elles n'abordent pas l'écriture de la même façon. Leur envie ou leur besoin d'écrire naît cependant de la stimulation apportée par l'autre : aiguillon de la jalousie, suggestions bienveillantes, encouragements, tout leur permet d'alimenter l'écriture.
Parce que c'est nous est aussi un hommage à ces femmes indépendantes, Meredith, Feron mais aussi les femmes de Lovegood, et en particulier la doyenne. En saisissant les destinées sur plus de quarante ans, Gail Godwin embrasse les soubresauts de la société américaine, en toute subtilité, et la difficulté d'être au monde, de se confronter à la perte. C'est éblouissant.
Gail Goodwin, Parce que c'est nous (Old Lovegood Girls), éditions Joëlle Losfeld. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie-Hélène Dumas.
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