lundi 27 février 2023

Les brouillards noirs de Patrice Gain



Présentation éditeur

Raphaël est violoncelliste et ne vit qu'à travers son instrument. Cette passion l'a éloigné depuis onze ans de sa fille Maude. 

Mais quand il apprend qu'elle a disparu lors d'un voyage aux Îles Féroé, il part aussitôt dans cet archipel nordique...


Ce que j'en pense

Patrice Gain est depuis ses débuts un auteur intéressant, et le plus passionnant est de voir sa trajectoire d'écrivain, de voir de roman en roman comment il gagne en puissance. Les brouillards noirs est son nouvel opus et il est superbe. Plus que jamais il mêle cheminement intime et regard social. 

Raphaël Chauvet est un homme ordinaire comme le roman noir aime à nous en montrer, dont la vie personnelle est fracassée : la séparation conjugale s'est accompagnée de ce qu'il faut bien appeler une soustraction illégale d'enfant, puisque Raphaël n'a pas revu sa fille Maude depuis ses onze ans. C'est pourtant à lui que son ex-femme fait appel pour retrouver leur fille, jeune adulte partie en vacances aux îles Féroé, et disparue. Voilà notre personnage parti pour ces contrées aux portes de l'Europe et pourtant si lointaines, à bien des égards. 

Dès lors, le roman se fait roman de quête (un père sur les traces de sa fille), d'enquête (qu'est-il arrivé à cette jeune femme? est-elle vivante ou morte?), roman d'atmosphère, roman social et politique, sans pesanteur. Patrice Gain s'y entend pour nous faire ressentir l'hostilité de ce territoire, hostilité des habitants envers Raphaël (je vous laisse découvrir pourquoi), hostilité de la nature à la puissance terrifiante. Les îles Féroé sont évoquées dans leur beauté et dans leurs aspects sombres, où se mêlent intérêts économiques et dérives identitaires, pollution de l'océan et massacres sous couvert d'une tradition dévoyée. 

Deux scènes confinent à l'horreur pure, à mes yeux : celle d'un grind, absolue barbarie que rien ne peut excuser, durant laquelle la souffrance animale, la terreur ressentie par ces êtres vivants face aux pulsions destructrices m'ont dévastée ; celle de la tempête, quand Raphaël est avec le superbe personnage d'Ulvur (pardon pour l'accent manquant), que j'ai ressentie avec une violence inouïe, tant l'écriture de Patrice Gain est précise et forte. 

Il est difficile de lâcher ce roman, tout en tensions et en péripéties très prenantes, mais n'allez pas penser que c'est un thriller (enfin, considérez-le comme tel si ça vous chante) : il se mêle à la tension narrative très forte une déchirante mélancolie, celle d'un homme qui a tout perdu quand sa fille lui a été arrachée, et qui la découvre au fil de sa quête. Les brouillards noirs sont aussi ceux qui ont empêché la relation d'un père et de sa fille, dans ce roman noir tragique et bouleversant. Raphaël est musicien, et le chant de son violoncelle se mêle à celle de l'écriture de Patrice gain, lancinante, obsédante et immensément triste, d'une beauté à pleurer. 


Patrice Gain, Les brouillards noirs, Albin Michel, 2023.


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