vendredi 11 janvier 2019

Dans l'ombre du brasier d'Hervé Le Corre


Présentation de l'éditeur
La "semaine sanglante" de la Commune de Paris voit culminer la sauvagerie des affrontements entre Communards et Versaillais. Au millieu des obus et du chaos, alors que tout l'Ouest parisien est un champ de ruines, un photographe fasciné par la souffrance des jeunes femmes prend des photos "suggestives" afin de les vendre à une clientèle particulière. La fille d"un couple disparait un jour de marché. Une course contre la montre s'engage pour la retrouver.  

Ce que j'en pense
Hervé Le Corre revient avec ce roman au XIXème siècle, et situe son intrigue après celle de L'Homme aux lèvres de saphir. Cette fois, il évoque la Commune, et si j'avais aimé sa première incursion dans le XIXè, j'ai pris une énorme claque avec Dans l'ombre du brasier. Il faut laisser au roman le temps de s'installer, m'a-t-il semblé, de nous familiariser avec les personnages. Non qu'il soit lent au démarrage, nous sommes plongés à la fois en pleine Commune (et dans le début de la fin, si je puis dire) et dans les abîmes du Mal avec Pujols. Mais j'ai trouvé que le roman ne cessait de monter en puissance, avec une sorte de crescendo narratif et émotionnel, et plus j'avançais, plus j'avais de mal à interrompre ma lecture. Roques, Nicolas, Caroline, et même Lalie ou Clovis, sans oublier Pujols, chacun nous offre un angle de vue sur la Commune, sur la société de l'époque. L'alternance des points de vue fait beaucoup pour le rythme du roman, mais elle nous permet surtout de ne pas avoir de vision monolithique. Et le moindre personnage prend corps et vie, jusqu'à la logeuse d'une nuit, à la fin du roman. Quel talent pour faire exister les personnages!
Par ailleurs, et c'est toute la force du roman et particulièrement du roman noir à mes yeux, je n'avais jamais vu la Commune ainsi, si je puis dire. Quand j'y pense, dans ma scolarité secondaire, la Commune a été rapidement survolée (sans être passée sous silence) par les cours d'Histoire. Je crois que je n'avais jamais pris la mesure, par exemple, des destructions terribles infligées par l'armée versaillaise, aux hommes et à la ville, car comme l'un des personnages le dit, le pouvoir versaillais aurait préféré rasé Paris et ses habitants plutôt que de laisser gouverner les Communards. Si Hervé Le Corre écrit son roman en respectant scrupuleusement (m'a-t-il semblé) la chronologie des faits, il est romancier avant tout, et la grande Histoire se construit ici avec des individualités, les personnages. Le roman rejoint par certains aspects la micro-histoire, et c'est à la fois très parlant, très concret, et bouleversant. Je saisis beaucoup mieux qu'avant les soubresauts du mouvement, les difficultés et faiblesses (logistiques notamment), le raz-de-marée qu'est l'arrivée des troupes versaillaises, la puissance du massacre aveugle en réponse au soulèvement populaire. Hervé Le Corre offre, comme dans d'autres romans, une vision de l'Histoire complexe et passionnante, il rend son lecteur plus intelligent. 
Et puis quel souffle! Il y a le caractère épique des batailles, des combats : on sent la poudre, on a l'odeur métallique du sang sur le bout de la langue, on entend le bruit et la fureur des canons et des cris des blessés. Aucune scène de combat n'est rébarbative ou ennuyeuse, jamais. Et je perçois la difficulté que cela peut représenter que d'écrire de telles scènes. Une autre qualité du roman est l'écriture des dialogues: c'est tellement facile de faire peuple et de se rater. Ici, rien d'artificiel, on entend la langue du peuple, ou du moins sa version littéraire et romanesque, ça fonctionne, sans artifice, sans affectation non plus. 
Le souffle est également lié à l'émotion qui s'empare du lecteur au fil des pages. Emotion devant la tragédie que fut la Commune pour le peuple de Paris écrasé, devant le caractère inéluctable du revers final. On a beau savoir la fin, en quelque sorte, on vibre, on se prend à espérer, et pour ma part, je me faisais ma petite uchronie dans ma tête : et si ça avait marché... Surtout, j'ai été bouleversée par les personnages et par des nombreuses scènes. Hervé Le Corre réussit particulièrement les scènes qui se déroulent dans les cafés, et la scène où l'un des personnages parle avec le tenancier (je ne peux en dire plus) est somptueuse et déchirante. Clovis est également une réussite totale : le cocher maléfique par bien des aspects, qui parle aux chevaux, fascine par sa trajectoire qui restera opaque mais que l'on devine marquée par la tragédie. Nicolas est aussi un personnage superbe, définitivement marqué par la Commune et ses horreurs, par l'injustice de la mort, et qui bouleverse par ses rêves d'égalité mais aussi de bonheur simple. 
La fin du roman, dont je ne vous parlerai pas, est à crever d'émotion, je suis sortie de ma lecture le coeur gros mais l'âme ravie par Dans l'ombre du brasier, soufflée une fois de plus par la force de l'écriture d'Hervé Le Corre. 

PS : en revanche, ai-je le droit de dire que je ne suis pas fan de la maquette du bouquin (couverture)? 

Hervé Le Corre, Dans l'ombre du brasier, Rivages Noir, 2019. Disponible en numérique.

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