Présentation (éditeur)
Dans les paysages grandioses du Montana des années
1980, l'histoire d'un homme en perdition confronté à ce que l'humanité a de
pire et de meilleur. Héritier des grandes oeuvres de nature writing, un roman
qui soulève les contradictions les plus violentes et dérangeantes d'une
Amérique qui préfère ignorer ses marginaux. Portée par une écriture tour à tour
sauvage, brutale et poétique, une révélation.
La
première fois qu'il l'a vu, Pete a cru rêver. Des gosses paumés, il en croise
constamment dans son job d'assistant social. Mais, tout de même, un enfant en
pleine forêt, méfiant, en guenilles, l'air affamé... Pete s'accroche, laisse de
la nourriture, des vêtements et finit par gagner la confiance du petit.
Suffisamment
pour découvrir que le garçon n'est pas seul. Sa mère et ses frères et soeurs
sont introuvables, il vit avec son père, Jeremiah Pearl, un fondamentaliste
chrétien qui fuit la civilisation pour se préparer à l'Apocalypse et comploter
contre un gouvernement corrompu et dépravé.
Petit
à petit, entre Pete et Jeremiah s'installe une relation étrange. Car Jeremiah
s'est isolé par désespoir, après un drame atroce ; Pete de son côté est au bord
de sombrer : son frère est recherché par la police ; son ex, alcoolique,
collectionne les amants ; et, surtout, sa fille de quatorze ans a disparu
quelque part le long de la route du Texas...
Deux
hommes aux prises avec des démons qu'ils ne pourront plus faire taire très
longtemps...
Ce que j’en pense
J’avais repéré ce titre parmi les centaines qui composent la
rentrée littéraire 2016 et comme souvent ces temps-ci, j’ai mis du temps à le
lire, pour des raisons qui m’échappent. Ce roman est une pure splendeur, une œuvre
qui m’a laissée un peu sonnée. Les premiers chapitres m’ont rappelé la
technique du fix-up, j’avais l’impression de lire des nouvelles dont le fil
conducteur était Pete, l’assistant social qui veille au bien-être (enfin, c’est
un grand mot) des enfants de ce coin perdu du Montana. Un cas suivait l’autre,
et cela sonnait comme un discret hommage rendu à ces enfants perdus, à Pete et
son travail obstiné, dérisoire et magnifique. Puis deux éléments du récit
rassemblent tout ce qui va se dérouler : le déménagement de l’ex-femme de
Pete au Texas, avec Rachel, leur fille ; la rencontre de Pete avec Ben,
enfant presque sauvage qui vit une existence de nomade avec son père dans les
forêts et les montagnes. Dès lors, la narration alterne les lieux : le
Texas et Rachel, qui subit les défaillances d’une mère paumée, le Montana et
Pete, qui s’efforce de sauver des enfants dont la vie ne tient parfois qu’à un
fil.
Ce que j’ai aimé, c’est que jamais Smith Henderson n’est dur
avec les personnages, même lorsqu’ils sont les plus nuisibles des parents.
Seule la mère de Cecil et de Katie suscite une vraie réprobation, pour ne pas
dire plus. Les autres se débattent comme ils peuvent, y compris Pete, qui ne
sait pas sauver sa propre fille. Jeremiah Pearl, aussi cinglé soit-il, apparaît
finalement comme un homme, tout simplement, qui a sans doute trop aimé sa femme
pour faire cesser sa folie à temps, et qui a sombré lui-même, entraînant à sa
suite le jeune Ben. Et jamais le roman ne porte de regard dur sur ces enfants,
quels que soient leurs actes : Cecil m’a touchée, lui qui est comme
déterminé, prédestiné à la violence, lui qui pourtant pleure lorsqu’il retrouve
son amie.
La beauté de ce roman tient à deux choses pour moi, ou du
moins ce sont les deux choses qui m’ont touchée : la force de l’évocation
de cette Amérique qui semble engloutir les êtres, cette Amérique aussi bien
rurale qu’urbaine, toujours sauvage, qui fait disparaître purement et
simplement ceux qui le souhaitent (Jeremiah, Luke, Rachel). Les pages où Pete bivouaque
avec Jeremiah et Ben sont frappantes, impressionnantes. Et puis il y a les
personnages, tous frappés par la tragédie, tous marqués par une enfance rude ou
carrément maltraitante. Tous sont déchirants, à commencer par Pete, qui exerce
un métier à la fois dérisoire et indispensable : veiller à ce que les
enfants aient un minimum de sécurité et de dignité, même si la tâche est
souvent vaine. Car les enfants dont il est question, élevés au mieux dans des
caravanes ou des bicoques minables, ne semblent pas avoir une chance de s’en
sortir, leur trajectoire déterminée par la violence, la négligence, la
pauvreté.
Quoique paru dans une collection « générale »,
Yaak Valley, Montana, est pour moi un pur roman noir. Car derrière chaque
destinée individuelle, c’est le portrait d’une Amérique ravagée par la misère,
l’ignorance et la croyance religieuse la plus rustre, la plus fanatisée. C’est
le portrait de l’Amérique des laissés-pour-compte, ces petits blancs qui vivent
dans des mobil-homes et vivent d’expédients (comme cette famille approchée au
bord de la rivière, digne et admirable). C’est la faillite d’un système que
nous montre Smith Henderson, l’échec d’une société.
Et puis en tant que romancier, S. Henderson ne cède pas aux
facilités, notamment dans le dénouement. Il ne dénoue pas, parce que c’est
impossible, parce que même ça serait trop romanesque.
Yaak Valley, Montana est un roman tragique et déchirant,
tout en sobriété : c’est une pure merveille.
Smith Henderson, Yaak Valley, Montana (Fourth of July Creek), Belfond, 2016. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nathalie Peronny. Publication originale: 2014. Disponible en e-book.
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