samedi 10 septembre 2016

En douce de Marin Ledun


Présentation éditeur
Sud de la France.
Un homme est enfermé dans un hangar isolé. Après l’avoir séduit, sa geôlière, Émilie, lui tire une balle à bout portant. Il peut hurler, elle vit seule dans son chenil, au milieu de nulle part.
Elle lui apprend que, cinq ans plus tôt, alors jeune infirmière, elle a été victime d’un chauffard.
L’accident lui a coûté une jambe. Le destin s’acharne.
La colère d’Émilie devient aussi puissante que sa soif de vengeance.

Ce que j’en pense
Evidemment, j’ai un a priori positif quand j’ouvre un roman de Marin Ledun. Evidemment, j’attendais celui-ci avec une grande impatience. N’empêche : En douce ne m’a pas déçue. Après avoir passé presque quinze jours sur un polar (qui pourtant me plaisait beaucoup), j’ai aimé prendre cet uppercut de noirceur, j’ai aimé avoir cette sensation d’urgence à la lecture. En douce commence comme un thriller : une rencontre un soir de 14 juillet, une promesse de nuit de plaisir, et le virage abrupt vers la violence. Jusque-là, Marin Ledun semble mettre ses pas dans ceux d’auteurs lus jadis. Mais ce n’est qu’un leurre, et alors que d’autres romanciers prendraient la voie du thriller psychologique et adopteraient le point de vue de la victime, Marin Ledun déjoue nos attentes et retrouve illico la noirceur de la tragédie sociale et la distance de l’écriture du noir. En mêlant deux strates temporelles, il donne non pas des explications mais des clés de compréhension du fol engrenage qui entraîne les victimes vers le pire. En douce est une sorte de mélange entre le rythme d’un thriller et la force d’un roman noir. Pas plus qu’Emilie ne savait où la mèneraient ses actes, je ne savais où me menait Marin Ledun. J’ai aimé ces scènes de noir où l’ambiance et les lieux priment : l’atmosphère de la fête du 14 juillet, les bruits et les parfums du chenil et de la forêt, l’hôpital et les bars… En douce donne à voir de manière saisissante comment Emilie a peu à peu tout perdu, elle qui n’avait déjà pas grand-chose : la perte de sa jambe n’est que la première étape d’un processus de dépouillement social, économique, psychologique.
Aliénation au sein du monde du travail, société qui refuse l’échec et la différence, mécanismes de domination, violences physiques et symboliques : c’est bien un roman de Marin Ledun que nous lisons, et un roman noir ciselé comme je les aime.
Il y a plus encore : si les personnages sont des victimes, ils gardent la dignité, peut-être la seule qui leur reste, celle de dire non et de choisir, in fine, de retourner ou non la violence subie en violence infligée. Jusqu’aux dernières lignes, l’auteur bouscule son lecteur. Pour ma part, j’ai été bouleversée par le choix ultime d’Emilie.
Enfin, il faut remarquer un tour de force : Marin Ledun, par une écriture très sobre, dépouillée, qui ne cherche pas l’effet, parvient à faire comprendre sans tomber dans les excès du roman didactique ou à thèse. Ce n’est pas le moindre de ses talents.


Marin Ledun, En douce, Ombres Noires, 2016. Disponible en numérique. 

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