dimanche 5 avril 2015

Poison City de Tetsuya Tsutsui


Présentation (éditeur)
Tokyo, 2019. À moins d'un an de l'ouverture des Jeux Olympiques, le Japon est bien décidé à faire place nette avant de recevoir les athlètes du monde entier. Une vague de puritanisme exacerbé s'abat dans tout le pays, cristallisée par la multiplication de mouvements auto-proclamés de vigilance citoyenne. Littérature, cinéma, jeu vidéo, bande dessinée : aucun mode d'expression n'est épargné. C'est dans ce climat suffocant que Mikio Hibino, jeune auteur de 32 ans, se lance un peu naïvement dans la publication d'un manga d'horreur ultra réaliste, Dark Walker. Une démarche aux conséquences funestes qui va précipiter l'auteur et son éditeur dans l'oeil du cyclone...

Ce que j’en pense
Cela faisait une éternité que je n’avais pas lu de manga. La visite au Salon du Livre de Paris m’a rappelé que j’avais lu des avis élogieux sur Poison City de Tetsuya Tsutsui: le stand de l’éditeur Ki-Oon était bien visible de loin, avec de grandes bannières pour le nouveau manga de leur invité phare. De plus, la disponibilité en « grand » format était séduisante pour moi: en dépit du prix élevé, j’ai donc craqué, mais vous pouvez considérer que c’est un achat impulsif. 
Vive les achats impulsifs car j’ai dévoré ce tome et suis désormais impatiente de lire la suite! Je crois que le manga est prévu en deux tomes seulement, ce qui me ravit. 
Il y a un côté dystopique dans ce manga, mais nous nous projetons dans un futur si proche qu’il est pour ainsi dire notre présent. Dans le Japon de 2019, les censeurs ont gagné : là où la censure était présente (est présente en 2015) à un niveau régional, elle règne désormais au niveau national par l’entremise d’un comité qui examine les nouvelles publications. L’objectif est double: protéger la jeunesse japonaise d’oeuvres inappropriées, qui pourraient l’entraîner vers la violence ou le désespoir; soigner l’image du Japon à l’étranger, pour véhiculer une « coolture » de bon aloi, alors que le pays inonde le monde de ses produits culturels. 
Poison City s’impose avant tout par la force de son propos, offre des échos troublants avec ce que nous observons. En France, la censure n’a jamais désarmé, qu’on songe seulement à la loi de 1949, et les USA ou le Japon ne sont pas épargnés non plus. L’intérêt est que Tetsuya Tsutsui n’assène rien. S’il est clairement opposé à la censure, il n’en montre pas moins des personnages troublés par certains faits tragiques, par leur possible responsabilité. Ce faisant, il questionne le lecteur au lieu de le manipuler sottement. Mais le récit porte l’idée que la censure n’est pas seulement un étouffoir pour la création, pour la singularité des auteurs et dessinateurs, c’est également une réaction inappropriée, fondée sur des préjugés et des explications pseudo-scientifiques douteuses, qui masquent mal des positions idéologiques. Passionnant, le récit l’est aussi parce qu’il nous montre le parcours semé d’embûches d’un jeune mangaka qui doit toujours en rabattre, victime de la censure, tout en nous donnant à lire les planches de son manga. La construction de ce manga force le respect et captive. Le dessin est lumineux, tout en mouvement, en dynamisme, et d’une clarté époustouflante. Tetsuya Tsutsui ne cherche pas les effets de manche, il est efficace, simple. 
Les dernières pages du volume relatent comme le mangaka (le vrai, Tetsuya Tsutsui) en est venu à écrire ce manga. Cela éclaire différemment le propos du manga: la dystopie, c’est pour aujourd’hui. 
Vite, lisons, tant que c’est possible!

A lire en écoutant Boris, Attention Please.


  Tetsuya Tsutsui, Poison City, volume 1, Ki-Oon, 2015. Traduit du japonais par David Le Quere. Un petit format broché est disponible pour environ 8 euros, et un grand format relié est disponible pour environ 15 euros. 


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