mercredi 9 octobre 2024

Fonds noirs de Xavier Boissel



Présentation éditeur

Paris, 1986. Un expert-comptable tombe de la fenêtre de son appartement. Tout laisse à penser à un suicide, l’homme était nerveux et agité, mais sa fille refuse obstinément d’y croire. Une amie lui donne le contact de son oncle, Wouters, un pilier de la PJ, commissaire désabusé proche de la retraite, qui décide de l’aider. Rapidement, il décèle des coïncidences troublantes : une série de cambriolages dans le sillage du mort, un « accident » sur le chantier en face de son immeuble, mais surtout, sa proximité avec certains membres du parti socialiste, mêlés à une sombre histoire de vente illégale d’armes. Derrière ce décès anodin en apparence, Wouters risque bien de déterrer des secrets que certains politique paieraient cher pour laisser enfouis.   


Ce que j'en pense

Je n'ai pas si souvent parlé de Xavier Boissel ici, et pourtant, c'est un auteur qui compte énormément à mes yeux dans le paysage du roman noir français. Fonds noirs se situe dans l'orbite des deux romans précédemment parus chez 10/18, Autopsie des ombres et Sommeil de cendres

Avec Fonds noirs, il aborde le milieu des années 1980, ce moment où, en 1986, l'Histoire française est bousculée par la Cohabitation, des bouleversements dans les équilibres géopolitiques, des attentats, la mort de Malik Oussekine. L'ombre des politiques plane sur le roman, et ce sont des ombres funestes, cyniques. Il n'est pas certain que vous trouverez dans Fonds noirs des clarifications si vous ne connaissez pas un peu cette époque : Xavier Boissel n'est pas là pour faire oeuvre didactique, ce n'est pas du polar historique, mais bien un roman noir qui s'enracine dans un moment de l'Histoire où se jouent des basculements, des renoncements, des compromissions dont nous sommes aujourd'hui encore tributaires. Et tout cela s'enracine dans les périodes abordées dans ses deux romans précédents : parfaite continuité du désastre. Il donne pourtant à comprendre l'Histoire, il en dégage les lignes de force, les points de jonction. Car tout se tient. C'est une vision désenchantée, mélancolique, tragique. N'importe quel lecteur accèdera à cette vision. Et c'est ce qui compte.

Mais pour ceux qui l'ont vécue, cette époque honnie, le roman aura une saveur supplémentaire, encore que le mot soit bien mal choisi. Point de nostalgie, mais, j'insiste, une infinie mélancolie : tout s'est joué sans nous, au mieux, ou avec notre assentiment, au pire. J'appartiens à la même génération que Xavier Boissel, et le roman me fait puissamment ressentir cette année 1986. Avec mes 15 ans provinciaux, je ne percevais pas grand-chose de ce qui se tramait, je ne comprenais rien. Mais je vivais les choses, même loin de l'épicentre du pouvoir. Le roman me ramène à la violence du désenchantement, à la violence politique, aux petits arrangements, aux trajectoires opportunistes, liquidant des années de lutte. Fonds noirs me ramène à cette impossible réconciliation avec ma génération. 

N'allez pas penser que le roman exprime ou suscite de l'aigreur : la mélancolie ne vire pas à l'acidité parce que l'écriture la sublime. Parsemé de références, de citations (créditées à la fin du volume), Fonds noirs cultive son héritage manchettien avec grâce. Je n'ai pu m'empêcher de voir en Craven un cousin de Terrier, avec sa position du tireur couché, son traumatisme crânien (je suis peut-être à côté de la plaque). La scène de la poste est remarquable et m'évoque aussi bien certaine scène de Manchette qu'une autre signée Dantec. Le moment de bravoure est époustouflant de sobriété (non, l'un n'empêche pas l'autre). 

Au plaisir de la connivence se superpose l'émotion suscitée par le style, par les formules : je vais le dire de manière un peu nunuche, mais Fonds noirs m'a serré le coeur d'émotion par la force de son style, par des phrases, des passages, des scènes qui m'ont sonnée par leur puissance et leur beauté. Pas besoin d'effets de manche pour ça, pas de pathos, pas d'évènements tonitruants, pas de phrases alambiquées: 

"Il croisa un couple de lycéens enlacés et, en se dirigeant vers Saint-Lazare, il songea aux jeunes corps agonisants dans la folie du temps."

Et à propos de Craven, ces simples mots me semblent illustrer à la perfection la beauté de l'écriture de Xavier Boissel : 

"Du sang s'épanche autour de lui, il sombre dans la nuit rouge. Il est un homme qui tombe."

La précision, la justesse, la beauté. La poésie, la littérature. 


Xavier Boissel, Fonds noirs, 10/18, 2024.




 

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