lundi 12 août 2024

Nul ennemi comme un frere de Frédéric Paulin



Présentation éditeur

Beyrouth, 13 avril 1975. Des membres du FPLP ouvrent le feu sur une église dans le quartier chrétien d’Ain el-Remmaneh. Quelques minutes plus tard, un bus palestinien subit les représailles sanglantes des phalangistes de Gemayel, inaugurant un déferlement de violence sans commune mesure qui dépassera bientôt les frontières du Liban et du Proche-Orient.
Michel Nada part alors pour la France, où il espère rallier la droite française à la cause chrétienne. Édouard et Charles, ses frères, choisissent la voie du sang. Dans la banlieue sud de Beyrouth, Abdul Rasool al-Amine et le Mouvement des déshérités se préparent au pire pour enfin faire entendre la voix de la minorité chiite.
À l’ambassade de France, le diplomate Philippe Kellermann va, comme son pays, se retrouver pris au piège d’une situation qui échappe à tout contrôle.
Mais comment empêcher une escalade des tensions dans un pays où la guerre semble être devenue le seul moyen de communication ? La France de Giscard et de Mitterrand en a-t-elle encore seulement le pouvoir, alors qu’elle se voit menacer au sein même de son territoire ?
Première partie du projet le plus ambitieux de Frédéric Paulin à ce jour, Nul ennemi comme un frèreretrace les premières années de la guerre du Liban.

Ce que j'en pense

C'est peu dire que je l'attendais, ce nouveau roman de Frédéric Paulin. Nul ennemi comme un frère inaugure une nouvelle somme romanesque et embrasse à travers l'histoire du Liban entre 1975 et 1983 des bouleversements géopolitiques qui traversent encore notre monde. 

Une première raison de lire ce roman est qu'il rend intelligible, compréhensible des évènements d'une inouïe complexité, imbriqués de Washington à Beyrouth en passant par Paris et j'en passe. On sait depuis la trilogie Benlazar la virtuosité de Frédéric Paulin, dont je ne doute pas qu'il ait fait un travail préalable de documentation phénoménal: il confirme ici sa capacité à s'emparer de la complexité des interactions, des connexions, de tout ce qui fait qu'on ne peut parler du monde en trois formules et une punchline. Alors que le Liban ne quitte pas l'actualité (dès lors qu'on s'intéresse à autre chose qu'aux JO), Nul ennemi comme un frère fait un retour sur une période-clé, dont il ne nous reste parfois que des mots épars, des évènements dont on ne cerne plus les tenants et les aboutissants. N'allez pas croire que Frédéric Paulin fait son malin, ou que Nul ennemi comme un frère égare ou écrase son lecteur. Non, la maîtrise de l'auteur est telle qu'il peut se consacrer à la fiction, au romanesque, à ses personnages, et il nous tire vers le haut. En un mot comme en cent, on se sent un peu moins con en terminant le roman. 

Une deuxième raison de lire ce roman, la principale (car sinon on lirait des essais historiques et puis c'est marre), c'est que c'est un roman extraordinaire, d'une puissance narrative folle. Oui c'est un roman dense, oui le début en désorientera certains car il y a beaucoup de personnages, oui certains auront besoin d'apprivoiser les sigles, les mouvances diverses. Mais accrochez-vous, que diable, car vous serez très vite récompensés. Pour ma part, je n'ai vu à aucun moment dans cette densité un obstacle, et j'avais beaucoup de mal à lâcher le roman. Ben oui, j'ai trouve que c'était un vrai page-turner, comme on dit. Frédéric Paulin donne une épaisseur à ses personnages, et l'on se prend à se passionner pour les dessous de la politique française, pour les combats, coups de force et manoeuvres des uns et des autres au Liban. Il a cette capacité à incarner les forces en présence, à leur donner corps et âme. Jamais le roman n'est encombré par des explications, par un didactisme de mauvais aloi, et même, le roman avance sans faire mention des dates, ou incidemment. Il parie sur l'intelligence des lecteurs à saisir les situations sans lui marteler les faits et la chronologie. Le rythme et la fluidité de ce beau volume de 457 pages sont éblouissants. 

Enfin, synthèse des deux raisons évoquées, Nul ennemi comme un frère est un roman indispensable en cette fin d'été parce qu'il est un roman tragique à l'écriture magnifique. Jamais de pathos, jamais de lourdeur, une multiplicité de points de vue qui ne se bornent pas à tisser la complexité du réel (ce qui serait déjà suffisant) mais qui font miroiter les facettes de la tragédie pure vécue par ces hommes et ces femmes, frères hier et ennemis aujourd'hui, fracassés par tant de douleur. La force de la littérature est là, dans cette capacité à transcender le chaos, à dire une vision qui rend leur humanité à ceux qui sont, depuis des décennies, des silhouettes ou des forces politiques dans les journaux télévisés. 

Immense romancier que Frédéric Paulin, servi par le travail éditorial des éditions Agullo, qui donnent à Nul ennemi comme un frère un écrin digne de lui. 


Frédéric Paulin, Nul ennemi comme un frère, Agullo (Agullo Noir), 2024.

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