mercredi 9 février 2022

Minuit dans la ville des songes de René Frégni



Présentation éditeur

« J’avais été jadis un voyageur insouciant. Je devins un lecteur de grand chemin, toujours aussi rêveur mais un livre à la main. Je lus, adossé à tous les talus d’Europe, à l’orée de vastes forêts. Je lus dans des gares, sur de petits ports, des aires d’autoroute, à l’abri d’une grange, d’un hangar à bateaux où je m’abritais de la pluie et du vent. Le soir je me glissais dans mon duvet et tant que ma page était un peu claire, sous la dernière lumière du jour, je lisais.
J’étais redevenu un vagabond, mal rasé, hirsute, un vagabond de mots dans un voyage de songes. »

Ce roman est le récit d’une vie d’errance et de lectures, aussi dur que sensuel, aussi sombre que solaire. Le chaos d’une vie, éclairée à chaque carrefour périlleux par la découverte d’un écrivain. René Frégni, conteur-né, ne se départit jamais de son émerveillement devant la beauté du monde et des femmes. Fugueur, rebelle, passionné de paysages grandioses, qui restent pour lui indissociables des chocs littéraires. Un homme qui marche un livre et un cahier à la main.


Ce que j'en pense

J'ai lu un roman de René Frégni il y a des années, mais curieusement, cet auteur est resté hors de mon périmètre de lecture. Quelle erreur! J'ai lu en deux fois ce roman, et sans le sommeil qui m'a terrassée au terme d'une semaine de boulot, je l'aurais lu d'une traite. Je dis roman car c'est ce qui est indiqué sur la couverture, mais c'est en large part le récit autobiographique d'un chemin de lecteur et de l'avènement d'un écrivain. Je connaissais les grandes lignes de la vie de René Frégni, et j'ai aimé en savoir plus sur ses jeunes années. 

Je m'aperçois en rédigeant ces lignes qu'il est difficile de dire à quel point ce livre est solaire, à quel point il fait du bien. Ce n'est pourtant pas un chemin pavé de roses que nous relate René Frégni, mais une jeunesse sombre, une jeunesse de fuite, de vagabondage, celle d'un esprit rétif à l'enfermement, quel qu'il soit. C'est aussi une jeunesse marquée par des figures magnifiques, qu'il s'agisse de la mère, mater dolorosa superbe et poignante, d'Ange-Marie, de l'aumônier et de bien d'autres encore, parfois plus fugaces. 

"Lecteur de grand chemin", le narrateur est autodidacte, il lit avec avidité tout ce qui lui tombe sous la main, parfois avec méthode - lorsqu'il est dans la résidence universitaire - et toujours avec passion. Les livres ne l'enferment pas en lui-même, ils l'ouvrent au monde, le rendent libre, lui donnent accès à la complexité et aussi, tout simplement, à la beauté. La rencontre littéraire avec Giono est capitale, et René Frégni parle admirablement de lui. 

Je n'ai pas lu Giono depuis belle lurette et je ne saurais comparer leurs écritures (ce qui serait sans doute totalement crétin, de toute façon). Mais il y a, c'est évident, des points communs dans leur façon d'être écrivain et tout simplement, d'être au monde. Le narrateur ne perd jamais, quelles que soient les difficultés à surmonter, sa capacité d'émerveillement, et René Frégni nous offre des moments de beauté incroyable, avec une écriture sobre et sensuelle qui donne à sentir la mer, le soleil, les paysages (de Corse notamment). C'est d'ailleurs l'un des merveilleux paradoxes de ce livre : le jeune René est presque toujours en cavale, en fuite, et le roman donne pourtant à voir des moments de pause, d'immobilité contemplative. La capacité d'exprimer par l'écriture la beauté du monde n'est pas le seul point commun avec Giono : Frégni est comme lui un esprit libre, résistant de toutes ses forces à l'embrigadement, à l'enfermement dans quelque système de pensée que ce soit. 

Lecteur buissonnier, lecteur à la belle étoile, le jeune René est tout cela. Sa jeunesse de cavale est jalonnée de pauses salutaires, de rencontres souvent merveilleuses (les copains, les femmes, qui jouent un rôle important). Il nous la relate sans fausse naïveté, avec beaucoup de pudeur, dans une écriture à la fois simple et précise, sensuelle et bouleversante. 

Pour moi, reste à découvrir le reste de son oeuvre, et je m'en réjouis d'avance. 


René Frégni, Minuit dans la ville des songes, Gallimard, 2022. 

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