Présentation
Une fois de plus, Simona Tavianello se trouve au mauvais endroit et au
mauvais moment, avec la mauvaise réaction aux yeux de sa hiérarchie : du
coup, elle claque la porte et prend des vacances à Paris. Alors qu’elle mange
un couscous tranquillement dans un restaurant du Marais avec son mari, un
client va se voir servir une main coupée. Dès lors, tout part en vrille…
Mon avis
J’avais lu Saturne, qui
introduisait Simona Tavianello, après avoir entendu Serge Quadruppani en parler
à Toulouse en 2012. Cela faisait des années que je n’avais pas lu cet auteur et
j’avais été séduite sans plus. Je suis directement passée à ce troisième
volume, Madame Courage, et cette
fois, j’ai été franchement emballée. Alors bien sûr, il faut s’accrocher :
l’auteur déploie en virtuose une intrigue assez complexe, introduisant
plusieurs personnages, avec des scènes qui se déroulent à plusieurs moments et
même dans plusieurs pays. Il est question d’une Italie toujours et encore
gangrenée par la mafia et la corruption, de la Tunisie post-printemps arabe, de
la collusion plus ou moins avouable entre des intérêts d’état et d’intérêts
financiers . Bref, le grand dénominateur commun de tout cela, c’est le système
capitaliste gangréné par nature, qui broie au passage les hommes et les femmes.
Dit comme ça, je mesure bien ce que ça a de pesant, de possiblement didactique
et pénible. Mais il n’en est rien.
D’abord parce que Serge Quadruppani n’égare jamais la littérature de
genre (le roman noir) dans les méandres du roman à thèse : il se
positionne mais il ne donne pas de leçon, il montre, il démonte, il dévoile.
Ensuite parce que, précisément, ayant fait le choix du roman noir, il n’oublie
jamais de divertir son lecteur. L’intrigue est captivante, et cela va
crescendo, parce que les fils se croisent, les personnages aussi (la
prodigieuse scène de la main coupée). Il y a de l’humour et de la poésie :
Francesco Marrone, le flic qui enquête en dormant et qui a des fulgurances dans
son sommeil (cela apparaissait dans Saturne
avec un autre personnage savoureux, de sa famille d’ailleurs), est l’un des
beaux personnages de ce roman, un amoureux désorienté qui perd le sommeil. Et
il y a Simona, que diable, ici éprouvée et en colère (mais elle est souvent en
colère, non ?). Bref, ça déménage, pour le plus grand bonheur du lecteur. Enfin,
parce que nous sommes dans un roman noir de la plus belle facture, rien n’est
asséné, et s’il y a de belles ordures, on voit que le monde n’est pas
manichéen, que les ordures ont, elles aussi, une trajectoire complexe, parsemée
de mauvais choix. On s’attache à Moncef, on comprend ce qui a mené là le père
de Maria. Il n’y a pas de vilains de pacotille chez Quadruppani, le monde est
trop complexe pour cela.
Deux choses pour finir, rapidement parce que je ne veux pas faire un
billet interminable :
- on sait que Serge Quadruppani a créé Simona parce qu’il en avait
assez que les médias (italiens en particulier) nous imposent le
« modèle » de la jeune et jolie fille dévêtue, un peu stupide, tout
en séduction et maigre comme un clou. Simona n’est plus toute jeune, elle est
ronde, elle est plus que futée, mais ce n’est pas tout : elle n’est pas
virilisée comme certains personnages féminins de polar, elle est tout en
sensualité, c’est une grande amoureuse. Soit, et c’est pour ça qu’on l’aime.
Mais dans Madame Courage, TOUS les
personnages féminins sont épatants (je parle comme dans les années 1930), Maria,
Claire, Stéphanie. Et même la serveuse, qui fout bien sa zone, comme dirait
l’autre, même si ce n’était pas très malin. J’adore, et la scène de libération
finale (je n’en dis pas plus) où on retrouve les quatre filles est jubilatoire,
drôle, tout en ellipse.
- Serge Quadruppani écrit bien. J’ai lu Madame Courage juste après un polar de mauvaise eau (dont je ne
parlerai pas, du coup), et je vous assure, c’était d’autant plus frappant. Ben
oui, littérature de genre ne rime pas avec clichés virilistes et écriture
pauvre, qu’on se le dise !
Pour qui ?
Pour les amateurs de roman noir, pour tous ceux qui aiment les héroïnes
pas nunuches et pour ceux qui n’aiment pas les visions du monde simplistes.
Le mot de la fin
Encore !
Serge Quadruppani, Madame Courage,
Le Masque, 2012.
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