mercredi 30 mars 2016

Blood Simple de Joel et Ethan Coen


Comme il n’est jamais trop tard pour voir de bons films, j’ai vu pour la première fois de ma vie Blood Simple de Joel et Ethan Coen. C’est donc la version director’s cut que j’ai regardée, au cas où vous vous demanderiez, je ne connais donc que celle-ci : pas de comparaison possible.
J’ai adoré me faire promener par les frères Coen, dans ce film noir très codé et qui fait en même temps un usage ludique des codes, sans la mise à distance amusée d’un Tarantino.
La trame est on ne peut plus classique : une femme quitte son mari pour l’un de ses employés ; le mari engage un privé, d’abord pour avoir les preuves du forfait, ensuite pour liquider les amants adultères. A partir de cet argument narratif, les frères Coen jouent avec les images, semant pour les spectateurs des indices, attirent l’œil sur des détails qui se révèleront cruciaux, mais déjouent toujours nos attentes. Ainsi, le briquet oublié sous le poisson (ceux qui ont vu me comprennent) pourrait être l’élément incriminant, au lieu de quoi il jouera un autre rôle dans la mécanique du récit ; le spectateur est invité à constater que le pistolet de l’épouse ne contient que trois balles, puis à remarquer où le glisse l’amant. Hypothèses, toutes déjouées ensuite, pour notre plus grand plaisir.
Chacun des personnages est une sorte d’archétype du noir, mais aucun ne permet l’identification. Tous se méprennent, sur la situation, sur les autres, tous sont, au fond, complètement crétins. Le mari demande une enquête au privé, car il est persuadé que sa femme le trompe avec un homme noir (ce qui pour lui est l'insulte suprême). L’épouse et l’amant sont persuadés que l’autre a commis le pire et finissent par être terrifiés l’un par l’autre. Le privé commet une erreur consternante qui va avoir des conséquences en chaîne, parce qu’il s’est cru plus malin. Le carnage advient par la bêtise des uns et des autres, par leur inaptitude à juger d’une situation, par le fait qu’ils sont pétris de clichés sur ce que fait une femme adultère, sur ce que fait un amant, etc.
En termes de mise en scène et de montage, le film est assez sidérant. Rappelons qu’il est sorti en 1985, et hormis quelques détails vestimentaires très eighties, rien dans l’image, la photographie ne le signale. Or, combien de films de l’époque ont aussi bien vieilli ? Dans cette version director’s cut, il y a un mélange de lenteur et de rapidité assez unique. La bande-son contribue largement à créer une atmosphère mi-réaliste mi-onirique, par l’utilisation des silences, des bruits (de porte notamment), par la musique aussi, impeccable. On est déjà dans cette Amérique qui fascine les frères Coen, une Amérique de rednecks, et les trognes sont assez incroyables.
Une dernière chose m’a frappée. Je ne suis pas spécialiste en la matière, loin s’en faut, mais deux scènes m’ont semblé dignes des films d’horreur : la scène nocturne où Ray emmène le corps de Marty pour l’enterrer et la scène finale où le privé traque sa victime : la main plantée sur la fenêtre, les coups de feu puis les coups contre la cloison, avec le risque de voir surgir le bourreau à tout moment… Tout cela m’a évoqué, dans la manière de filmer, des scènes topiques des films d’horreur.
Bref, Blood Simple avance simplement, sans rodomontade, et pourtant, c’est un film d’une ambition folle, et une réussite totale à mes yeux. Merci Elodie, qui m’a donné envie de le voir !


Joel et Ethan Coen, Blood Simple, River Road Productions/ Foxton Entertainment, USA, 1985, 99 minutes.

dimanche 27 mars 2016

Sagittarius (L'Alignement des équinoxes II) de Sébastien Raizer


Présentation (éditeur)
Le cerveau reptilien et le néocortex sont aux commandes, dans un univers bouillant de silicium. Des fantasmes sexuels impliquant des pieuvres géantes, des Goliaths et des cannibales deviennent réalité. Car les neurotoxines hallucinogènes de la Vipère sont encore actives : Diane Lempereur, sa dernière élève, recrute Joana, une jeune synesthète (dont les perceptions sensorielles fusionnent) ; tandis que Silver, toujours boxeuse mais nettement moins zen, est happée par le processus de la loi de l'alignement. Dans le chaos, Wolf, lieutenant de la Brigade criminelle, cherche son chemin avec l'aide de Richard Philips, l'ancien patron de Karen - la fille samouraï qui hante sa psyché. Car dans l'ombre, l'Impératrice d'Or prépare un bouleversement total. 

Ce que j’en pense
Il est des livres que l’on attend et que l’on commence en espérant le même frisson que pour le premier volume, que l’on aborde avec crainte aussi: et si l’émotion n’était pas la même? 
Qu’en est-il? Eh bien, en refermant Sagittarius, je n’ai qu’une hâte : lire le troisième volume, annoncé pour 2017. 
J’avais trouvé L’alignement des équinoxes saisissant, et Sagittarius en tient toutes les promesses. Sébastien Raizer maîtrise de bout en bout ce récit qui entrecroise les points de vue, dans une construction virtuose. Se dessine sous nos yeux une architecture du chaos, car tout dans ce deuxième volume semble servir les projets de Diane Lempereur, élève et disciple de la Vipère: la quête des origines de Silver au Laos, Silver qui a absorbé la neurotoxine; la fuite en avant de Marc, somptueux nerd psychotique en pleine dérive, obsédé par la composition de la neurotoxine; Wolf, bien sûr, hanté par la volonté d’arrêter les projets de Diane. Face à eux, Diane, évidemment, mais aussi Joana, disciple hallucinée de l’Impératrice douée de synesthésie, mais aussi Richard Philips et Marquez, ambigus à souhait. En réalité, tous constituent un élément de la stratégie de Diane, tous parcourent le chemin vers le chaos programmé. 
Il y a du Maurice G. Dantec - le grand, celui des Racines du Mal - dans l’univers de Sébastien Raizer, mais si je dis cela, vous pourriez croire que Sagittarius n’a pas d’originalité. Or, c’est dans un univers singulier que le lecteur entre, un univers qui déroule une réflexion kaléidoscopique sur la modernité technologique, le devenir de l’humanité, mêlant philosophie et mystique. Peut-être serait-il plus juste de dire que Dantec comme Raizer représentent une forme d’héritage dickien - et il est fait référence à Philip K. Dick et à Ubik dans Sagittarius. Sagittarius pose de sacrées questions, via son univers halluciné, sur l’évolution des réseaux informatiques, sur l’avènement des intelligences artificielles, sur la subordination programmée de l’homme à la machine. 
Je ressors de cette lecture frappée par le rythme du roman, un rythme à la fois fluide et syncopé, qui accroche le lecteur ; j’ai adoré l’univers musical qui parcourt le récit, Ministry, Nick Cave, univers qui contribue largement à rendre cette lecture hypnotique, magnétique. 
Je ne demande qu’à poursuivre l’expérience. 

Un autre avis ici 


Sébastien Raizer, Sagittarius, Gallimard Série Noire, 2016. Disponible en ebook. 

dimanche 13 mars 2016

Envoyée spéciale de Jean Echenoz



Présentation (source : epagine)
Constance étant oisive, on va lui trouver de quoi s'occuper. Des bords de Seine aux rives de la mer Jaune, en passant par les fins fonds de la Creuse, rien ne devrait l'empêcher d'accomplir sa mission. Seul problème : le personnel chargé de son encadrement n'est pas toujours très bien organisé.

Ce que j'en pense
Echenoz est l'un de mes auteurs préférés depuis des années déjà. Je l'ai découvert à la fin des années 1990, et depuis, je ne rate aucun de ses romans. Cependant, je dois confesser que mon intérêt avait un peu faibli ces dernier temps, il avait à mes yeux perdu de sa fantaisie. Avec Envoyée spéciale, je retrouve le Echenoz loufoque, le virtuose de la construction romanesque, et c'est jubilatoire.
Cette fois l'auteur joue avec les codes du roman d'espionnage, avec cette distance amusée qu'on lui connaît (cf. Les grandes blondes par exemple) ; son narrateur s'adresse à nous, exhibant les codes, jouant avec nos attentes, dépliant les dessous du récit pour notre plus grand plaisir. Jean Echenoz semble tisser sa toile romanesque avec soin, et c'est le cas, sauf qu'il fait semblant de nouer tous les fils pour finalement faire autre chose. C'est malin, c'est époustouflant de maîtrise. Et puis il y a les personnages, tous plus loufoques les uns que les autres, les dialogues hilarants, les situations improbables… Alors attention, hein, on ne se tape pas sur le ventre en riant d'un rire gras, non, Echenoz est subtil, fin, mais n'empêche, vous aurez l'air d'un imbécile heureux si vous lisez Envoyée spéciale en public, comme mon collègue qui a lu le roman dans le train, face à un type qui n'a rien fait pendant ses trois heures de trajet, sinon regarder d'un air stupéfait mon collègue hilare. Rire en lisant, ce n'est pas donné à tout le monde…



Jean Echenoz, Envoyée spéciale, Minuit, 2016. Disponible en ebook SANS DRM.

mardi 8 mars 2016

Evangile pour un gueux d'Alexis Ragougneau


Présentation
Un SDF, Mouss, a été frappé et noyé. Il n’est pas un inconnu : avec quelques uns de ses compagnons d’infortune, il a occupé Notre-Dame de Paris, pour attirer l’attention sur leur sort et revendiquer le droit à un logement décent pour tout un chacun. Le Père Kern se trouvait sur place et l’affaire l’a ébranlé au point qu’il va ensuite se retirer. Claire Kauffmann, l'ex-procureur, est chargée d'instruire l'affaire, avec l’aide de Gombrowicz et Landart, et elle demande l’aide du prêtre pour l’éclairer.

Ce que j’en pense
C’est sans conviction mais sur la foi (si je puis dire) de l’avis positif de Jean-Marc Laherrère que j’avais lu, à sa sortie, le premier opus d’Alexis Ragougneau. En ayant gardé un bon souvenir, je n’ai pas hésité à acheter le deuxième roman de l’auteur, Evangile pour un gueux. J’ai eu un plaisir fou à retrouver le père Kern et les autres personnages, et je me suis régalée de l’intrigue. Autrement dit, si j’ai aimé le premier, j’ai adoré le deuxième ! Cette histoire de sans-abri, d’occupation de Notre-Dame, les doutes du père Kern, les amours de la magistrate Claire, les airs transis de Gombrowicz, tout cela m’a enchantée de bout en bout. Le récit m’a convaincue et la fin m’a quelque peu surprise mais l’essentiel n’est pas là : Alexis Ragougneau a créé un univers, une galaxie de personnages, des atmosphères, et s’il ne révolutionne pas l’écriture du polar, il déploie quelque chose d’original, de singulier, et ça me plaît. J’aime également qu’il n’y ait pas de héros, mais un trio de protagonistes très différents, à la fois liés et indépendants, complexes et abimés ou décalés.
Maintenant, je n’ai plus qu’à espérer que l’auteur donnera suite et proposera un troisième volume.


Alexis Ragougneau, Evangile pour un gueux, Viviane Hamy, 2016. Disponible en ebook SANS DRM.

lundi 7 mars 2016

Pat Conroy RIP


Pat Conroy est mort voici quelques jours et il n'avait que 70 ans. 
C'est étrange parce que je n'ai lu qu'un livre de lui, Charleston Sud, mais c'est une de mes plus grandes émotions de lecture, si grande que je n'ose ouvrir Beach Music et Le Prince des Marées qui attendent pourtant de m'emporter à leur tour. 
Je me sens triste, très triste...

mercredi 2 mars 2016

Ah, mon petit Marcel, ça faisait longtemps...


Quand j'étais adolescente, j'avais une fascination pour Marcel Proust (oui madame) qui grandissait au fur et à mesure que j'avançais dans ma lecture de La Recherche. Traitez-moi de snob, mais l'oeuvre proustienne est une des plus marquantes de ma vie de lectrice. Et, toujours adolescente, j'adorais faire remplir le questionnaire de Proust à mes amis, l'exercice pouvait nous occuper des heures entières... Je suis tombée récemment sur ce questionnaire et l'envie est venue de me soumettre à ce questionnaire, quelques vingt-cinq ans plus tard...

Le principal trait de mon caractère
L’anxiété.

La qualité que je préfère chez un homme
Son féminisme

La qualité que je préfère chez une femme
Son esprit d’indépendance

Ce que j’apprécie le plus chez mes amis
L’envie qu’ils suscitent en moi d’être avec eux.

Mon principal défaut
La procrastination

Mon occupation préférée
La procrastination

Mon rêve de bonheur
Etre sereine en toutes circonstances et avoir du temps.

Quel serait mon plus grand malheur
Devenir aveugle

Ce que je voudrais être
Moi en plus volontaire, en plus engagée.

Le pays où je désirerais vivre
Un pays qui a et se sent des perspectives d’avenir.

La couleur que je préfère
Le noir.

La fleur que j’aime
La renoncule.

L’oiseau que je préfère
Le moineau.

Mes auteurs favoris en prose
Manchette, Modiano

Mes poètes préférés
Je ne lis plus de poésie.

Mes héros dans la fiction
Les perdants magnifiques du roman noir.

Mes héroïnes dans la fiction
Les héroïnes qui assument leurs désirs.

Mes compositeurs préférés
Difficile de répondre…

Mes peintres favoris
Raoul Dufy

Mes héros dans la vie réelle
Ceux qui renoncent au pouvoir quand il leur tend les bras.

Mes héroïnes dans l’Histoire
Celles qui n’ont pas leur nom dans les livres d’Histoire

Mes noms préférés
Celui que je murmure à son oreille.

Ce que je déteste par-dessus tout
Qu’on envahisse mon espace.

Personnages historiques que je méprise le plus
Ceux qui se réclament du peuple en s’essuyant les pieds sur lui pour grimper plus haut (ça fait du monde).

Le fait militaire que j’admire le plus
Celui qui consiste à barrer la route à un char, désarmé. Les faits militaires qui sont impossibles à réussir et qui changent pourtant tout.

La réforme que j’estime le plus
Le droit à la contraception et à l’avortement.

Le don de la nature que je voudrais avoir
Une belle voix.

Comment j’aimerais mourir
Sans douleur et sans regrets.

Etat présent de mon esprit
Une légère angoisse.

Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence
Celles qui me font rire.

Ma devise
Ce n’est pas exactement une devise, peut-être une profession de foi, et elle est signée Henri Michaux : "Si nous ne brûlons pas, comment éclairer la nuit ?"